Nom

Cingria, Alexandre

Dates de naissance et de décès
Genève 22.03.1879—08.11.1945 Lausanne
Auteur·e et date de la notice
Valérie Sauterel 2015; Camille Noverraz 2021
Lieux avec objets
Données biographiques

Artiste polyvalent qui fut à la fois peintre, peintre-verrier et mosaïste, décorateur et décorateur de théâtre, écrivain et chroniqueur, Cingria est une figure déterminante du monde culturel romand de la première moitié du XXème siècle.
Il est né à Genève d'une mère polonaise, Caroline Stryjenska, elle-même peintre, et d'un père dalmate naturalisé suisse. Attiré par les arts et les lettres, il arrête le collège et démarre ses études conjointement à la Faculté des Lettres et à l’École des Beaux-Arts de Genève en 1889, encouragé par sa mère. Grand voyageur, il part à Munich, Constantinople, en Ombrie et en Toscane, et commence à exposer entre l’Italie et Genève. En 1903, il s'installe à Paris où il suit les cours à l’Académie Julian et partage sa chambre avec Charles-Ferdinand Ramuz, rencontré à l’école de recrue (Cingria, 1954, p. 17-34). Cette même année, il remporte le concours des vitraux pour le temple de Saint-François à Lausanne, sa première expérience dans le domaine du vitrail et de l’art sacré. Mais ses projets suscitent un tel scandale qu’ils ne seront pas exécutés (Queijo, 2017, p. 253-258). Cet échec l’éloigne de l’art verrier pour un temps et coïncide avec ses premiers écrits. En 1903, il termine Le pays des Lotophages puis Les pénates d’argile en 1904, en collaboration avec Ramuz et Adrien Bovy. Dès 1904, il se lance dans l’aventure éditoriale de la revue La Voile latine, avec son frère Charles-Albert, Ramuz et Bovy, entre autres (Walzer, 1993). Auteurs de plusieurs ouvrages et de très nombreux articles dans des revues romandes et internationales, l’écriture l’accompagne toute sa vie. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage qui a eu une très grande portée en Suisse et à l’étranger et qui a fortement influencé la réflexion sur l’art religieux au début du XXème siècle : La décadence de l’art sacré, publié aux éditions des Cahiers vaudois en 1917 (Cingria, 1917).

La découverte des premiers vitraux de Mehoffer à la collégiale et future cathédrale de Fribourg, qui le fascinent, constitue un élément déclencheur pour sa carrière de peintre-verrier (Yoki, 1983, p. 155). Cingria dessine ses premiers vitraux dès 1913 à Genève, pour la basilique Notre-Dame (Courtiau, 2013) et pour la nouvelle église Saint-Paul à Cologny, dans le quartier de Grange-Canal (cycle initié en 1916 et complété en 1926), chantier d’importance pour le renouveau de l’art sacré catholique, annonçant la future activité du Groupe de Saint-Luc (Poiatti, 2001 ; 2008, p. 118-122). Il collabore alors avec Marcel Poncet, artiste, peintre-verrier et verrier qui réalisera ses propres vitraux et ceux d’autres artistes dans son atelier (Noverraz, 2014). C’est avec Marcel Poncet que Cingria fonde, en 1919 à Genève, le Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, première bouture de la société artistique catholique connue sous le nom de "Groupe de Saint-Luc" (Service des biens culturels, 1995). Cingria en devient le principal animateur et président de la partie romande, jusqu’à son décès en 1945. Dans le cadre des églises construites et décorées par le Fribourgeois Fernand Dumas, architecte le plus actif de cette société, il réalise de nombreux vitraux, peintures murales et mosaïques dans le style coloré et vivant qui le caractérise (Rudaz, 1998 ; Rudaz, 2009a, p. 84-86).

Le vitrail devient rapidement l’une de ses spécialités. De 1920 à 1927, la plupart des vitraux qu’il conçoit sont produits dans l’atelier d’Eugène Dunand, qui, comme Marcel Poncet, réalise ses propres vitraux et ceux d’autres artistes dans son atelier genevois. A Sainte-Croix de Carouge et à la nouvelle église de Finhaut, où Dunand exécute une grande partie des vitraux de Cingria et réalise seul certaines verrières, les deux artistes exploitent les possibilités des verres industriels disponibles dans l’atelier de Dunand (Rudaz, 2009b, p. 110-111). Les vitraux de Cingria se distinguent en effet par la grande variété des techniques et matériaux utilisés, l’artiste se servant de tous les moyens traditionnels et modernes afin de servir l’expressivité de son œuvre et de renforcer la densité et la puissance de ses verrières : peinture à la grisaille travaillée avec différents outils et même au doigt, gravure à l’acide, cabochons, éclats de miroir, etc. (Cingria, 1933, p. 116-117). A partir de 1926, suite à la réalisation des vitraux du vestibule de l'église Saint-Paul de Cologny à Genève, Cingria est amené à travailler avec l’atelier Chiara, initiant une collaboration qui perdurera jusqu’à la fin de sa vie (Hostettler, 2001). L’artiste trouve dans l’atelier le potentiel qu’il recherche au niveau de la richesse des verres et du savoir-faire des artisans, tandis que la maison lausannoise profite de la notoriété de Cingria pour en faire sa "tête d’affiche", comme le démontre un ancien prospectus publicitaire ("Vitraux d’art exécutés par la maison Chiara […]", 1931).

Avec l’atelier Chiara, Cingria est assuré de pouvoir être impliqué dans toutes les étapes de réalisation de ses œuvres, et surtout, de pouvoir peindre lui-même ses vitraux. En 1926, il avait effectivement connu une expérience malheureuse avec les verrières de la nef de la nouvelle église d’Echarlens. Conçus au sein d’un autre atelier, celui de Kirsch & Fleckner à Fribourg, Cingria avait eu la mauvaise surprise de découvrir ses vitraux posés et peints par un employé de l’atelier sans qu’il en ait été averti (Cingria, 1933, p. 21). C'était alors un mode de fonctionnement habituel au sein de l'atelier fribourgeois, qui transforme sa manière de faire au contact d'artistes comme Castella ou Cingria. Ce dernier collaborera à d’autres reprises avec Kirsch & Fleckner dans le cadre de commandes où il a pu s'impliquer dans le processus créatif et peindre lui-même ses verres, comme pour le vitrail axial de l’église d’Attalens en 1938, l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste. La majeure partie des vitraux conçus par Cingria ont néanmoins été réalisés en collaboration avec l’atelier Chiara. Parmi les cycles les plus emblématiques que l’on doit à l’artiste sur le territoire suisse, on peut citer les vitraux de la chapelle du pensionnat Saint-Charles de Romont (1926-1929) ; de l’église Saint-Maurice de Laques en Valais (1928-1929) ; de l’église Saint-Martin de Lutry (1930) – entièrement décorée par lui – ; de l’église catholique Notre-Dame de Lausanne (1934/1941) ; des églises paroissiale d’Autigny (1934) ; Sorens (1934-1935) ; Ependes (1934-1935) ; Broc (1934-1936) ; Siviriez (1936) ; Orsonnens (1936/1939) ; de la collégiale de Romont (1938-1939) ; et de la chapelle du Scolasticat de Saint-Maurice (1932/1941). Il est également l’auteur de vitraux profanes, comme ceux du bar de la Presse du Palais des Nations, à Genève (1936) et de l’aula de l’Université de Genève (1940-1944). Plusieurs de ses vitraux ont été présentés lors d’expositions internationales consacrées à l’art religieux ou aux arts décoratifs, comme l’Exposition internationale des Arts décoratifs de Paris en 1925, l’exposition des Arts et techniques dans la vie moderne à Paris en 1937, la Triennale de Milan en 1933, ou encore l’exposition universelle de New York en 1939.

Dès 1935, Cingria a l’occasion d’expérimenter une technique encore peu répandue, la dalle de verre, consistant à sertir d’épais morceaux de verre dans du béton armé. Cette technique, permettant une intégration encore plus forte du verre dans l’architecture moderne est développée en France dès 1925 par Jean Gaudin et brevetée en 1933 par Auguste Labouret (Loire, 1989). Cingria réalise l’une des premières œuvres en dalle de verre sur le territoire suisse à l’église de Sorens, en collaboration avec le verrier Jean Gaudin (Meer, 2002 ; Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 50-53). En 1936 et 1939, il l’utilise à nouveau à l’église d’Orsonnens, et obtient sur concours l’important mandat pour la réalisation des cent panneaux en dalle de verre de l’église Notre-Dame des Alpes à Saint-Gervais-le-Fayet, en Haute-Savoie, commande également menée en collaboration avec l’atelier de Jean Gaudin (Umstätter-Mamedova, 2004, p. 165-174). Cingria travaille encore à plusieurs reprises avec la dalle de verre, notamment à la chapelle du Christ-Roi de l’Université Miséricorde, entre 1942 et 1944 ("Créateur de lumière", 1942, p. 12-13).
Repoussant sans cesse les limites de sa créativité, Cingria explore l’année avant sa mort une nouvelle technique de vitrail sans plomb en collaboration avec le verrier Herbert Fleckner, l’un des héritiers de l’atelier Kirsch & Fleckner. Il réalise ainsi les vitraux du sanctuaire marial Notre-Dame-des-Marches à Broc, cycle qui sera complété à son décès par son gendre, Emilio Maria Beretta. Cette technique qui consiste à maintenir les feuilles de verre coloré à l’intérieur de deux vitres transparentes sur lesquelles on peint directement fournit l’avantage d’accentuer la luminosité des verres et d’éviter la rupture des lignes provoquée par les plombs (Moullet, 1947).

Bibliographie

Cingria, A. (1917). La décadence de l’art sacré. Lausanne, Suisse : les Cahiers vaudois, 1917.

Cingria, A. (1933). Souvenirs d’un peintre ambulant. Lausanne, Genève, [etc.], Suisse : Payot.

Cingria, H. (1954). Alexandre Cingria : un prince de la couleur dans la Genève du XXe siècle. Genève, Suisse : Editions générales.

Courtiau C. (2013). La basilique Notre-Dame de Genève (Guides d’art et d’histoire de la Suisse), Berne, Suisse : Société d’histoire de l’art en Suisse.

Créateur de lumière. (1942, 6 juin). L’Écho illustré (23), p. 12-13.

Hostettler, C. (2001). L’Atelier P. Chiara – Lausanne : un producteur de vitraux domestiques au début du 20e siècle [mémoire de Licence inédit]. Université de Lausanne.

Meer, S. (2002). La dalle de verre en Suisse : émergence d’une nouvelle technique de vitrail dès 1935 [mémoire de Licence inédit]. Université de Lausanne.

Moullet, M. (1947, 11 janvier). Une invention récente dans l’art du vitrail : A propos des nouvelles verrières d’Alexandre Cingria au sanctuaire N.-D des Marches. La Liberté. Fonds Alexandre Cingria (1879-1945), Lausanne, Suisse : Centre de recherche sur les Lettres romandes.

Noverraz, C. (2014). Marcel Poncet (1894-1953) : au cœur de l’œuvre d’un artiste-verrier [mémoire de Licence inédit]. Université de Lausanne.

Noverraz, C., Sauterel, V., Wolf, S. (2021). De béton et de verre : La dalle de verre et ses premières utilisations en Suisse. Monuments vaudois, 11, p. 50-59.

Poiatti, M. (2001). L’église de Saint-Paul Grange-Canal, Genève. Berne, Suisse : Société d'histoire de l’art en Suisse.

Poiatti, M. (2008). Vitrail et modernité. Dans L. Borel (dir.), Emotions en lumière : le vitrail à Genève (p. 108-110). Genève, Suisse : APAS Association pour la promotion de l’art sacré ; La Baconnière Arts.

Queijo, K. (2017). Saint François chez les Vaudois. Vie, mort et résurrection d’une iconographie hagiographique en terres réformées. Dans N. Bock, I. Foletti et M. Tomasi (dir.), Survivals, revivals, rinascenze. Studi in onore di Serena Romano (p. 249-261). Rome, Italie : Viella.

Rudaz, P. (1998). Carouge, foyer d’art sacré, 1920-1945. Carouge, Suisse : Ville de Carouge.

Rudaz, P. (2009a). CINGRIA (Alexandre, 1879-1945). Dans J. M. Marquis (dir.), Dictionnaire carougeois : Arts à Carouge : Peintres, sculpteurs et graveurs (tome IV B, p. 84-86). Carouge, Suisse : Ville de Carouge.

Rudaz, P. (2009b). DUNAND (Eugène, 1893-1956). Dans J. M. Marquis (dir.), Dictionnaire carougeois : Arts à Carouge : Peintres, sculpteurs et graveurs (tome IV B, p. 110-111). Carouge, Suisse : Ville de Carouge.

Service des Biens culturels. (1995, octobre). Le Groupe de St-Luc. (Patrimoine fribourgeois), (5).

Umstätter-Mamedova, L. (2004). L’église Notre-Dame des Alpes à Saint-Gervais-Le Fayet. Dans Genève-Lyon-Paris. Relations artistiques, réseaux, influences, voyages, (p. 165-174). Genève, Suisse : Médecine & Hygiène.

Vitraux d’art. Industrie suisse. Exécutés par la Maison Chiara de Lausanne sur les projets et avec la collaboration d’Alexandre Cingria [Catalogue publicitaire]. (1931). Centre des littératures en Suisse romande (CLSR), Lausanne, fonds Alexandre Cingria.

Walzer, P. O. (1993). Le sabordage de « La Voile latine ». Lausanne, Suisse : L’Age d'homme.

Yoki. (1983). Cingria le magnifique. Les Cingria : pour le centenaire de la naissance de Charles-Albert, Cahier / Alliance culturelle romande, 29, 155-159.