Ce vitrail a été réalisé par l’artiste genevois Alexandre Cingria et l’atelier Chiara de Lausanne pour la nef de la chapelle de l'Hôtellerie franciscaine de Saint-Maurice.
La création des vitraux de la chapelle du Scolasticat (devenu Foyer franciscain en 1977 puis Hôtellerie franciscaine en 2013) s’est faite en deux étapes, la première en 1932 lors de la restauration de l’ancienne chapelle par le Romontois Fernand Dumas et la seconde en 1940, lors de la construction du nouveau sanctuaire, par le même architecte. Sa consécration et bénédiction ont lieu le 15 décembre 1940 sous la direction du père Gaspard, supérieur de la Province suisse des Capucins (Gaspard, 1940). Les archives du Scolasticat nous apprennent que l’architecte Albert Cingria, fils d’Alexandre, avait également été sollicité pour ce projet de construction ([Charrière], 1939). La décoration intérieure est l’oeuvre de l’artiste valaisan Paul Monnier, auteur de la peinture murale du choeur (Haegler, 1941).
Suite à la pose en 1931 des vitraux d’Antoine Bessac (atelier grenoblois) pour l’église des Capucins à Saint-Maurice, jouxtant les murs du Scolasticat, les étudiants souhaitent également pouvoir admirer des verrières dans la chapelle de leur séminaire (Charrière, 1932a), modeste lieu de culte rénové par Fernand Dumas entre 1929 et 1932 (Voirol, 1933, p. 74). A cette occasion, Frère Gabriel-Marie Charrière, Directeur du Scolasticat (Haegler, 1941), choisit de se tourner vers la modernité, en plébiscitant l’artiste genevois Alexandre Cingria pour la réalisation des vitraux, malgré les avis défavorables, voire négatifs énoncés parmi les Frères Mineurs Capucins, à l’instar du Père Ambroise, qui, dans un courrier adressé à frère Gabriel-Marie, s’inquiète du devenir des “âmes séraphiques de nos saints franciscains dans les mains immondes du caricaturiste genevois”. Il se demande en outre comment Frère Gabriel-Marie, “nourri dans le plus pur classique”, a pu se laisser “prendre à la poisse dégoûtante des modernes ?” (Ambroise, 1932). Ces quelques lignes, violentes et sans détour, apportent une nouvelle fois la preuve que Cingria avait non seulement des détracteurs féroces qui le percevaient avec beaucoup de dédain, mais aussi que, malgré plus de dix ans d’activité du Groupe de Saint-Luc en Suisse romande, l’art moderne proposé par cette Société artistique catholique, dont Cingria était une figure centrale, n’arrivait pas encore à être toléré par tout le monde, et ceci même dans les milieux ecclésiaux. Alors que les étudiants se montrent très contents des projets soumis par Cingria, les pères, eux, “ont crié au trop violent !” (Charrière, 1932e).
Ne souhaitant donner raison à ses opposants, Frère Gabriel-Marie donne des consignes extrêmement précises à Cingria tout au long du processus créatif. Il choisit avec minutie un programme iconographique franciscain d’une grande complexité, dont il définit chacune des scènes, les inscriptions, les emblèmes et les saints de l’Ordre à représenter dans les médaillons (Charrière, 1932e). Il transmet à l’artiste des ouvrages (Charrière, 1932b et 1932d), dans lesquels il lui signale où trouver la description des différents épisodes de la vie de saint François à illustrer. Il étudie ensuite rigoureusement les projets envoyés par Cingria et lui adresse une liste de correctifs à effectuer (couleurs, texte, dessin) en lui répétant “ses instantes recommandations”, dont la netteté du dessin, même dans les détails. Il lui demande de modérer sa fougue des rouges, pour ne point faire du violent et lui rappelle qu’il souhaite travailler tant pour sa propre sauvegarde que la sienne. Il ajoute qu’il “commence à entrevoir une porte ouverte pour lui chez eux” et que “ce sera fait s’il satisfaisait aux exigences ci-dessus” (Charrière, 1932c). A la lecture de ces mots, nous comprenons que Frère Gabriel-Marie jouait sa réputation autant que celle de Cingria, voire même d’avantage.
Le 17 février 1932, Cingria signe le contrat pour la réalisation des vitraux de la chapelle. Il y est stipulé qu’il les réalisera de concert avec la Maison Chiara de Lausanne et précisé que l’artiste s’“engage à exécuter ceux-ci fidèlement selon les projets présentés et agréés, ce qui est la condition d’acceptation de la part du client” (Cingria, 1932b). Il est payé en trois tranches : la première en février 1932 (Cingria, 1932a), la dernière quatre mois après la fin de son travail (Cingria, 1932b). Rien n’est laissé à la spontanéité et à la fougue naturelle de Cingria. Il est contraint à une rigueur absolue dans chacun de ses dessins et doit se tenir aux consignes données. Le 17 mars 1932, Cingia reçoit la dernière tranche finançant son travail, qui est donc terminé (Cingria, 1932c). Les cinq fenêtres à dix scènes sont réalisées dans un laps de temps extrêmement court, d’environ six semaines entre les premières esquisses et la pose des verrières. Pour leur financement, Frère Gabriel-Marie fait appel aux dons, car il ne veut pas que le Scolasticat y participe. Il s’adresse aux anciens Scolastiques non Capucins qui se sont montrés très généreux, contrairement aux anciens élèves devenus Capucins plus critiques envers le projet (Charrière, 1932f).
En 1940, l’artiste genevois revient à Saint-Maurice pour concevoir l’ensemble des vitraux de la nouvelle chapelle, dont les seize verrières de la nef. Il reprend ses créations de 1932, tout en les adaptant aux nouvelles fenêtres beaucoup plus petites. Chaque scène de la vie de François d’Assise et sa vertu font désormais l’objet d’un vitrail. Au sommet de chaque baie, Cingria réintègre le buste des saints de l’Ordre réalisés pour la première chapelle en 1932, tout en les inscrivant dans un nouveau cadre ornemental. Il compose sept nouveaux portraits pour compléter le cycle et ajoute deux épisodes supplémentaires de la vie de François d’Assise. Une nouvelle bordure encadre chacune des fenêtres, alors que les cartouches avec inscriptions, disposés à l’origine sous chacune des illustrations de la vie de François, sont abandonnés (probablement la mention des donateurs prévue par frère Gabriel-Marie en 1932) (Charrière, 1932d). Aucune source ne nous permet de savoir comment se sont déroulés ces remaniements. Nous ne savons pas si c’est frère Gabriel-Marie qui a mené le projet à bien jusqu’au bout, puisqu’il est remplacé par son successeur, Damien Mayoraz, durant l’année 1940 (“Mutations dans la Province suisse des Capucins”, 1939, p. 3), mais il est certain que s’il n’a pu le faire, il a transmis au nouveau directeur son souci de rigueur et de clarté, comme le prouve le cycle verrier.
L’artiste imagine en plus six nouvelles verrières décoratives consacrées au Cantique de Frère Soleil de François d’Assise pour compléter l’ensemble verrier de la nef et crée sept roses pour la coupole du choeur et trois petits vitraux pour les fenêtres situées au pied des escaliers menant à la tribune. L’atelier Chiara réalise l’ensemble des nouvelles verrières de Cingria et élabore encore des fenêtres ornementales (appelées “grisailles”) pour la sacristie et la cage d’escalier menant à la chapelle.
Le panneau central de cette fenêtre, illustrant l’épisode de François fêtant Noël à Greccio, était, en 1932, associé à la scène du Pardon de la Portioncule (GSL_177). Ce vitrail présente dans le médaillon le Bienheureux Apollinaire Morel, qui se situait à l’origine au sommet de la fenêtre consacrée aux scènes présentant François avec le loup de Gubbio et chantant la création. Frère Gabriel-Marie souhaitait qu’Appolinaire Morel apparaisse en tant que recteur du collège des Capucins à Stans, et non pas en tant que Capucin martyr de la Révolution française (Gabriel-Marie, [1932]g), contrairement à ce qui a été réalisé finalement sur le vitrail. Après analyse des projets de Cingria, il lui a demandé de représenter l’Enfant Jésus habillé, de dessiner plus clairement la chasuble portée par François et d’avancer sa tonsure plus en avant vers le front (Gabriel-Marie, 1932c). Cet exemple prouve combien Frère Gabriel-Marie avait à coeur de contrôler dans les moindres détails le dessin du Genevois.
Le compte-rendu écrit dans le Nouvelliste en août 1932 sur la chapelle est élogieux à l’égard de Cingria : “Comme les fils de S. François avaient eu recours aux artistes “modernes” de leur époque, Giotto entre autres, pour décorer les églises du couvent d’Assise, [le Directeur] confia l’exécution des panneaux au maître du vitrail, Alexandre Cingria” (V., 1932). Alors qu'il était considéré au début du projet par certains Capucins comme un vil caricaturiste, le journaliste du Nouvelliste le présente comme une référence ! A ses yeux, Cingria a réussi au Scolasticat à dompter cette “fameuse” lisibilité, qui lui a si souvent fait défaut dans sa carrière de peintre-verrier. Frère Gabriel-Marie a été un précieux mais intraitable guide dans cette quête.