Cette esquisse est un travail préparatoire pour un vitrail consacré à sainte Élisabeth de Hongrie, réalisé en 1915 par l’artiste genevois Marcel Poncet (GSL_561). Il a été posé en 1941 dans la salle paroissiale attenante à la chapelle catholique d’Aubonne, où il se trouve encore actuellement. Ce vitrail se trouvait à l’origine dans la maison Maurer, espace utilisé comme lieu de culte par la communauté catholique d’Aubonne, avant d’être déplacé à son emplacement actuel lors la construction de la chapelle en 1939-1941 par les architectes François de Reynold et Albert Cingria (Lincio, 2002, p. 18).
Un certain mystère entoure le contexte de sa création. Datant de 1915, il n’a pas pu être conçu spécifiquement pour la maison Maurer, qui n’est mise à disposition des catholiques d’Aubonne que dès 1921. Peut-être a-t-il été commandé pour l’un des anciens lieux de culte utilisés successivement par la communauté depuis 1913 ("Inauguration et consécration de la chapelle catholique [...]", 1941, p. 2), ou par un privé qui en a ensuite fait don à la paroisse.
A l’origine, la seule décoration prévue pour la chapelle était une peinture murale. C’est à la suite d’un don pour les vitraux que leur réalisation est envisagée et Marcel Poncet est d’abord pressenti pour ce mandat (De Reynold, 1940). Mais l’accent est mis sur le vaste chemin de croix en peinture murale, confié à l’artiste Emilio-Maria Beretta. Sans doute afin de favoriser l’harmonie stylistique entre les différents éléments de la décoration, c’est Beretta qui est finalement chargé de la réalisation des six vitraux de la nef, consacrés aux Litanies de la Vierge. La seule oeuvre de Poncet présente dans l’édifice est donc ce petit vitrail de la salle paroissiale.
Il s’agit d’une oeuvre de jeunesse de l’artiste, qui présente la particularité d’avoir été à la fois peintre-verrier et maître-verrier. Il entreprend en effet, parallèlement à ses études aux Beaux-Arts de Genève, un apprentissage de maître-verrier au sein de l’atelier carougeois de Gérard Krachten, lui permettant d’ouvrir son propre atelier à son domicile dès 1915 (Reymond, 1992, p. 37), année de la réalisation de ce vitrail. Il obtient à la même période sa première commande d’importance : les trois vitraux de la nef de l’église Saint-Paul de Cologny, dans le quartier de Grange-Canal (GE_08.10 ; GE_08.11 ; GE_08.12), édifice marquant de l’histoire du renouveau de l’art sacré romand et augurant les futures activités du Groupe de Saint-Luc, dont il est un membre fondateur (Hermanès, Poiatti, 2001 ; Poiatti, 2008, p. 118-122). Parallèlement à cette commande, il réalisera aussi dans son atelier les vitraux d’autres artistes, d’abord ceux Alexandre Cingria à l’église Notre-Dame de Genève (par exemple GE_08.07 ; GE_18.09), puis, à Saint-Paul, les verrières dessinées par Alexandre Cingria, Charles-Emile Brunner et Maurice Denis (par exemple GE_08.03 ; GE_08.04 ; GE_08.13) (Sauterel, 2008, pp. 236-242).
Ce vitrail s’apparente fortement à ses verrières de la nef de l’église Saint-Paul de Cologny, avec ses formes sinueuses et arrondies inspirées par l’Art nouveau et par l’oeuvre de Maurice Denis, grand théoricien du renouveau de l’art sacré que Poncet côtoie alors sur le chantier de l’église genevoise et qui deviendra son beau-père (Noverraz, 2014, p. 21-27). Il illustre une scène de la vie d'Élisabeth de Hongrie, ou de Thuringe, sainte du XIIIème siècle, fille du roi de Hongrie. Très généreuse, Élisabeth porte secrètement du pain aux pauvres, ce que son mari, le roi Ludovic de Thuringe, réprouve. Un jour, il la surprend et lui demande de lui montrer ce qu'elle porte de si lourd caché dans son manteau. Alors qu'elle s'exécute, une cascade de roses en sort au lieu de la nourriture. Le roi se serait exclamé : « Chère Élisabeth, c’est le Christ que tu nourris, que tu laves et c’est de lui que tu prends soin ». Cet épisode est nommé le "miracle des roses" (Vial-Andru, 2018).
Dans le fonds de l’artiste déposé au Vitrocentre Romont, sont conservées huit oeuvres préparatoires en lien avec ce vitrail, dont cette esquisse fait partie. Elles illustrent le processus de réflexion de l’artiste qui imagine plusieurs options pour la composition de cette scène. Sur les premières esquisses (MP_16.01 ; MP_16.02 ; MP_16.03), la sainte est représentée à droite et son mari, le roi Louis de Thuringe, à gauche, en cotte courte, déjà coiffé du casque de chevalier qu’il porte sur le vitrail mais sans la maille métallique qui figure sur l’oeuvre verrière. Sur deux d’entre elles (MP_16.01 et MP_16.03), il envisage déjà la présence d’un troisième personnage, une suivante assistant à la scène, et imagine des perles pour l’auréole de sainte Élisabeth (MP_16.02 ; MP_16.03), parti qui sera abandonné dans les étapes suivantes.
Il fixe ensuite plus définitivement la disposition des personnages (MP_16.05) et réfléchit à la posture du mari d’Élisabeth sur cette esquisse, qui lui est spécifiquement dédiée, le disposant tourné de dos, habillé d’une cape et tenant son arc à la main. Les oeuvres préparatoires suivantes lui permettent de définir sa composition de manière plus aboutie en prenant en compte la bordure décorative et en réfléchissant en marge à quelques éléments de détail (MP_16.06). Une des esquisses au crayon et à l'encre de chine (MP_16.07) montre un état presque finalisé. Même si les visages des personnages ne sont pas dessinés, tous les éléments principaux du vitrail sont définis, l’artiste se concentrant sur les motifs des vêtements pour lesquels il imagine plusieurs variantes dans la marge. Enfin, l’artiste réalise un carton au format de la scène centrale du vitrail (MP_16.08), qui présente de nombreuses variations par rapport au vitrail.