Ce haut-jour en dalle de verre a été réalisé par Alexandre Cingria entre 1942 et 1944 dans le choeur et la nef de la chapelle du Christ-Roi de l’Université Miséricorde de Fribourg.
Lors de l’inauguration de l’Université, dont les architectes sont Denis Honegger et Fernand Dumas, les claustras de béton sont encore nus mais des vitraux sont déjà prévus et leur conception confiée à l’artiste Alexandre Cingria, animateur principal du Groupe romand de Saint-Luc. Sans cesse à la recherche de nouvelles possibilités créatrices et techniques, l’artiste s’est lancé depuis 1935 dans l’exploration d’une technique verrière alors inconnue en Suisse : la dalle de verre, consistant à sertir des morceaux de verre épais dans un réseau de béton renforcé par des fers d’armature. Cette méthode, développée en France dès 1925 par Jean Gaudin et Jules Albertini, brevetée en 1933 par Auguste Labouret, sera utilisée pour la première fois par l’artiste genevois à l’église de Sorens (par exemple GSL_341), puis à Orsonnens (1936-1939) (GSL_3 ; GSL_4), à l’église française Notre-Dame des Alpes à Saint-Gervais-le-Fayet (1936) et à l’église du couvent des Cordeliers de Fribourg en 1937-1938 (Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 50-59). Pour la chapelle de l’Université de Fribourg, l’artiste pense également à la dalle de verre dont l’épaisseur, ainsi que le sertissage dans le ciment, permettent une parfaite adéquation avec l’architecture de béton apparent de l’Université. Appelé à s’exprimer sur sa conception du rôle du verre dans l’architecture dans la plaquette réalisée aux éditions de la revue romande “Vie, Art et Cité” à l’occasion de l’inauguration de l’Université en 1941, l’artiste affirme clairement sa volonté de s’affranchir du caractère décoratif du vitrail pour parvenir à une véritable intégration du verre dans l’architecture (Cingria, [1941], p. 126-129).
Un article de la revue romande L’Écho illustré indique que Cingria commence la création et la pose des dalles de verre de la chapelle en 1942. Contrairement à tous ses travaux antérieurs en dalle de verre, dont il avait confié la réalisation à l’atelier de Jean Gaudin en France, puisqu’aucun atelier suisse ne maîtrisait alors cette technique nouvelle, l’artiste dirige ici l’exécution entièrement lui-même. Les verres ont été commandés aux usines de Saint-Just-sur-Loire par Cingria, qui a formé des ouvriers tessinois chargés de l’exécution sur place, fonctionnant suivant une méthodologie simple. Après avoir découpé les dalles de verre en fragments de diverses grandeur et les avoir polies, celles-ci sont assemblées dans des cadres de fer de même forme que les jours des claustras où le béton est coulé, formant une pièce d’un seul tenant qui sera ensuite fixée avec du ciment à la paroi. Les ouvriers suivent pour cela les indications de Cingria, qui a élaboré une maquette sur laquelle est indiquée la répartition des tons au sein de l’ensemble (“Créateur de lumière”, 1942, p. 12-13).
Ce sont ces teintes qui donnent vie à l’ensemble constitué par les parois de claustras et les haut-jours. Cingria a disposé les coloris de manière symétrique tout autour de l’axe constitué par le panneau central derrière l’autel, et au sein de chaque panneau a conçu les harmonies de manière à mettre en évidence le motif de croix des claustras, en réalisant des contrastes entre teintes chaudes et froides. Dans les haut-jours étroits, l’artiste imagine un véritable arc-en-ciel de couleurs se déployant de la tribune des orgues jusqu’au choeur, avec une parfaite concordance entre les parois nord-est et sud-ouest.
Contrairement à ses travaux antérieurs en dalle de verre, (à l’exception de Sorens, dont les vitraux ornementaux de l’ancien baptistère ne comportent aucun élément figuré), ses oeuvres de la chapelle de l’Université reposent sur une pure juxtaposition de verres formant une harmonie colorée, sans aucune figuration. Les seuls motifs sont constitués par les grandes croix des claustras, que les pièces de verre viennent souligner et moduler. Par ce choix, Cingria franchit un pas de plus par rapport à l’église Notre-Dame du Raincy de Perret (1922-1923) – que l’architecture paraphrase directement – puisque dans l’église française la modernité des claustras habillées de vitrail au plomb frisant l’abstraction est modérée par la présence de scènes figurées au centre des croix. Le rapport entre cette technique et celle de la mosaïque, également pratiquée par Cingria, apparaît ici de manière particulièrement forte. A cette période, l’artiste désigne d’ailleurs ses travaux en dalle de verre par les termes de “mosaïques de verre” ou de “vitraux en mosaïques” (Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 53). Cette parenté devait d’ailleurs être soulignée par la présence de deux panneaux latéraux disposés de chaque côté de la nef, garnis de mosaïques. Ils serviront finalement de support à deux peintures murales de Maurice Barraud (Roetheli, 1946/1947, p. 3-7).
Lors de l’inauguration de la chapelle en mai 1944, les dalles de verre alors achevées sont complétées par des oeuvres de l’orfèvre Marcel Feuillat, auteur d’un tabernacle en cristal de roche conçu pour s’accorder avec les parois colorées (Feuillat, 1947, p. 67-69). Ce souci de dialogue entre les arts est caractéristique de l’esprit en vigueur dans les oeuvres rattachées à l’action du Groupe de Saint-Luc, dont Fernand Dumas, Alexandre Cingria et Marcel Feuillat sont des membres emblématiques.