Alexandre Cingria est l’auteur de l’ensemble des vitraux de l’église de Sorens. Alors que les verrières du choeur, de la chapelle de la Vierge, de la nef et de la tribune sont des vitraux traditionnels au plomb, ceux de la chapelle mortuaire sont réalisés dans la technique de la dalle de verre.
C’est la première fois que Cingria utilise cette nouvelle technique, élaborée conjointement par deux ateliers parisiens, ceux de Jean Gaudin et d’Auguste Labouret. En 1925, Gaudin achète les fours à émaux situés à Montigny-Bauchamps dans le Val-d’Oise, jusqu’alors en possession de Joseph Castagna et Jules Albertini, qu’il emploie comme chefs de fabrication pour la pâte de verre et les émaux de mosaïque. C’est là que Gaudin développe ses recherches sur la dalle de verre durant l’année 1925, soulignant l’étroite imbrication qui existe entre ce procédé et la mosaïque. A partir de 1929, Albertini et Castagna continuent à diriger seuls l’entreprise dont ils maintiennent la commercialisation jusqu’au début des années 1990. C’est à la fin des années 1920 que Jean Gaudin et son fils Pierre coulent les premières dalles de verres, en collaboration avec Albertini. Ils les appellent “mosaïques transparentes” ou “mosaïques lumineuses”. En 1933, Auguste Labouret fait breveter la technique sous le nom de “vitrail en dalle de verre cloisonnée en ciment”. Comme Gaudin, il cherche à adapter le vitrail aux nouvelles constructions modernes et à l’emploi du béton armé (Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 50-51).
Pour Sorens, Cingria travaille avec Gaudin, comme il le fera dès l’année suivante à Orsonnens pour les dalles de verre du narthex (GLS_ 3) et, en 1939, de la tribune (GSL_4). Les circonstances de sa rencontre avec le verrier français sont inconnues, tout comme celles de sa première prise de contact avec cette technique. En 1925, il présente deux vitraux à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, où Jean Gaudin et son collaborateur Louis Mazetier sont également présents. C’est peut-être à cette occasion que Cingria fait la connaissance du verrier (Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 52).
Bien que les oeuvres ne soient pas signées, une lettre de Gaudin atteste que “les huit panneaux en mosaïque transparente ont été réalisés suivant les dessins de Cingria” (Gaudin, 1935). Cette première expérience dans la dalle de verre s’apparente de près à la mosaïque traditionnelle, technique à laquelle l’artiste genevois s’adonne depuis 1916 et qui mêle sur un support de mortier, des tesselles de pierre ou de pâte de verre (Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 53). Sa composition est faite de petits morceaux de verres de différentes couleurs, plus ou moins carrés et disposés obliquement pour former des losanges superposés, sertis dans un fin réseau de ciment.
Lors de l’envoi des dalles de verre depuis Paris, la paroisse rencontre des problèmes de douane, malgré un courrier attestant le nom de l’auteur des dessins et de l’atelier ayant exécuté ces vitraux (Romanens et Marro, 1935). L’administration des Douanes suisses a en effet décrété, après analyse détaillée des huit panneaux, qu’il s’agissait d’objets “présentant un caractère industriel” et non artistique. Elle réclame donc à la paroisse une taxe se montant à 184,80 francs, ce qui représente une somme importante, équivalant à un peu moins d’un tiers du prix de fabrication des dalles de verres (Administration des Douanes suisses, 1935). Suite à plusieurs recours auprès de la direction des douanes suisses avec l’aide de l’artiste (Cingria, 1935a, et 1935b ; Terrapon, 1935b) et de l’atelier Gaudin (Terrapon, 1935a, Gaudin, 1935), la situation se débloque plusieurs mois plus tard et la paroisse est remboursée (Douanes suisses de Vallorbe, 1935).
Au-delà de l’aspect financier, ce qui frappe dans cet épisode compliqué, c’est la non-reconnaissance artistique des dalles de verre. On peut supposer que cet épisode aura choqué Cingria, lui qui depuis les débuts de sa lutte pour le renouveau de l’art sacré en 1917 s’était consacré à ce que l’art moderne et vivant revienne dans les églises en remplacement de la production industrielle, sérielle et non-artistique, caractérisée à cette période à travers le terme d’art “saint-sulpicien” (Cingria, 1917).
Ces huit vitraux se trouvaient originellement disposés les uns à côté des autres sur la façade nord-ouest du porche d’entrée. Lors de la création de la chapelle mortuaire en 1985, ils ont été déplacés au sein de cet espace, accolé à l’ancien baptistère circulaire.