Ce vitrail a été réalisé en 1950 par l'artiste Yoki en collaboration avec l'atelier d'Herbert Fleckner pour le choeur de la chapelle catholique de Châbles.
Il s'agit de l'une des premières créations verrières de l'artiste, alors âgé de 28 ans. À cette période, le jeune peintre vient de revenir de Paris où il s'est formé dans les Académies libres comme celle d'André Lothe durant environ deux ans. Dès 1948, il commence à recevoir plusieurs commandes monumentales et religieuses, comme la décoration de l'église de Massongex en 1948, où il peint le plafond et crée un chemin de croix. Pour ces réalisations, il peut profiter de l'expérience acquise dès 1938 et jusqu'au milieu des années 1940 auprès de l'architecte du Groupe de Saint-Luc, Fernand Dumas, qui l'emploie dans son bureau. C'est à cette occasion qu'il fait la connaissance des nombreux artistes affiliés à cette société artistique catholique très active en Suisse romande durant l'entre-deux-guerres, notamment Gaston Faravel, auteur du chemin de croix de Châbles, et, très probablement aussi de l'architecte de la chapelle, Albert Cuony. En 1950, année de la création de ce vitrail, Alexandre Cingria, animateur principal du Groupe de Saint-Luc et grand peintre-verrier est décédé depuis déjà plusieurs années, de même que Gaston Thévoz, autre peintre-verrier très actif de cette société. La présence d'un jeune artiste de talent maîtrisant l'art du vitrail représente ainsi un atout important, et c'est naturellement que Yoki va être amené à recevoir de plus en plus de commandes verrières dans des édifices religieux nouvellement construits ou restaurés. C'est également une période où il commence à être appelé à l'étranger, notamment à Kaiserlautern en Allemagne, à Liverpool, où il rencontre son épouse, ainsi que dans de nombreuses églises françaises dès 1954, ce qui contribuera à asseoir sa réputation dans le domaine de l'art religieux et du vitrail en particulier, dont il deviendra l'un des principaux représentants en Suisse dans la seconde moitié du XXème siècle (Clerc, 2021, p. 10-17).
La verrière rend hommage à la sainte patronne de la chapelle, Notre-Dame des Pauvres. Ce patronat aurait été inspiré par l'abbé Paul Dunand, curé de Font, qui organisait des pèlerinages à Banneux, en Belgique, où la Vierge serait apparue en 1933 et où Notre-Dame de Banneux est la Vierge des Pauvres. L'artiste la représente assise sur un trône avec le Christ sur les genoux, caressant la tête d'un pauvre et couvrant de son manteau une population variée composée de paysans et de vignerons, d'une mère et de son enfant, d'un ecclésiastique et d'un malade. Cette foule entoure la représentation d'Adam et Ève dont la faute, rachetée par Marie, est à l'origine des souffrances de l'humanité (Barras, 2017, 26-30).
Par sa position au-dessus de l'autel et son importance iconographique, ce vitrail joue véritablement le rôle d'un retable. Cette idée de remplacer le traditionnel retable peint par une image de lumière inscrite dans l'architecture comme le vitrail est largement exploitée dans le cadre du Groupe de Saint-Luc et notamment par Fernand Dumas. On trouve ainsi à l'église Saint-Othmar de Broc un vitrail retable-retable mêlant des vitraux d'Alexandre Cingria à des portes sculptées de François Baud (GSL_280), ou encore dans le choeur de l'église de Villars-le-Terroir un vitrail de Gaston Thévoz entouré d'un cadre en bois peint par Gaston Faravel (GSL_606).
Avec ce vitrail, Yoki rend hommage à Alexandre Cingria, peintre-verrier dont il a toujours admiré les vitraux. Comme il en témoigne dans plusieurs interviews, il préférait dans sa jeunesse parcourir à vélo la campagne fribourgeoise pour aller les découvrir d'une église à l'autre, plutôt que de s'adonner aux activités des enfants de son âge (Layaz, 2000). À l'instar de ce mentor qui aimait enrichir ses verrières de nombreux verres spéciaux et de cabochons, Yoki se sert ici de verre américain chenillé et irisé pour les parties situées à l'arrière-plan de la Vierge dans les panneaux centraux, de cabochons pour les couronnes de la Vierge et du Christ, les ornements du manteau de la Vierge et la fibule sur sa poitrine. Il emploie également des verres moulés-pressés de différentes formes dans la partie inférieure, deux grappes de raisin et une feuille de vigne accompagnant, en bas à gauche, la représentation des vignerons et des paysans, ainsi que différentes fleurs et des roseaux pour la scène en bas au centre illustrant Adam et Ève dans le jardin d'Éden, cachant leur nudité après avoir commis le péché. Ces insertions rappellent fortement certains vitraux de Cingria, comme ceux de la chapelle de l'Hôtellerie franciscaine de Saint-Maurcie (ancien Foyer franciscain, par exemple GSL_181) ou ceux de la chapelle de semaine de l'église d'Orsonnens (GSL_23). Si l'artiste se servira encore occasionnellement de verres à texture dans ses vitraux, on ne lui connaît aucune autre verrière employant du verre moulé-pressé ou des cabochons.
Mais Yoki ne se contente pas de paraphraser Cingria par des aspects techniques. Il établit sa composition autour de la forme triangulaire du manteau de la Vierge, qui recouvre les paysans, habitants et pauvres qui se placent sous sa protection et qui entourent Adam et Ève dans la partie inférieure. Cette construction peut être perçue comme une citation directe du vitrail de l'Assomption de la Vierge réalisé par Cingria en 1938 dans le choeur de l'église d'Attalens (GSL_40), pour laquelle Cingria a choisi d'organiser son vitrail autour de la forme d'un losange sur la pointe qui encadre la figure de la Vierge portée par des anges.