Ce vitrail en plein cintre a été réalisé en 1926 par l’artiste genevois Alexandre Cingria et par l’atelier lausannois Chiara pour une des quatre fenêtres du vestibule situées de chaque côté de l’entrée de l’église Saint-Paul de Cologny (GE), dans le quartier de Grange-Canal.
Au début du siècle, les catholiques genevois sortent à peine des années douloureuses du Kulturkampf et retrouvent enfin les églises qui leur avaient été enlevées. Pour répondre à la présence grandissante de catholiques dans le canton, de nouvelles paroisses voient le jour (Sauterel, 2008, p. 52-55 ; Poiatti, 2001, p. 7-10). C’est dans ce contexte de renforcement du catholicisme dans le canton qu’est érigée l’église Saint-Paul. Elle est construite dans le style néo-roman par l’architecte Adolphe Guyonnet, entre 1913 et 1915. Le curé Jacquet, en charge de sa construction et sa décoration, ambitionne d’en faire une “oeuvre de beauté” qui marquera une étape dans l'histoire de l'art religieux au XXème siècle (Comte, 1920, p. 60). Il souhaite s’adjoindre le concours de jeunes artistes, à l’instar de l’abbé Emile Dusseiller à l’église Notre-Dame suite à son rachat en 1912 et sa rénovation. Ce dernier désire pourvoir la future basilique de vitraux “aussi modernes d’inspiration que ceux de la cathédrale de Fribourg” (Poiatti, 2008, p. 111), qu’il confie à des artistes genevois comme Alexandre Cingria, Marcel Poncet et Charles-Emile Brunner. Jacquet va suivre un chemin similaire en s’entourant des mêmes protagonistes à l’église Saint-Paul, ainsi que du célèbre peintre français Maurice Denis, qui est déjà une figure d’autorité en tant qu’artiste et théoricien de l’art (Hodel, 1994, p. 1-4) et qui travaillera également à Notre-Dame dès 1917.
La décoration des fenêtres de l’église Saint-Paul commence en 1914. Cingria intervient une première fois en 1916 avec un vitrail pour les bas-côtés et est appelé à la fin de l’année 1925 pour orner de vitraux les fenêtres du vestibule, qui clôturent le cycle verrier de l’église. Les dix ans séparant ces deux réalisations montrent que l’artiste a acquis une expérience solide en tant que peintre-verrier et s’est familiarisé avec les divers procédés propres au vitrail. Dès ses débuts, il ressent le besoin de s’impliquer dans la réalisation technique de ses œuvres. Lorsqu’il conçoit son vitrail des bas-côtés, contrairement à Brunner et Denis, il peint lui-même son vitrail dans l’atelier de Poncet. Dix ans plus tard, il adopte la même démarche avec la maison Chiara de Lausanne avec laquelle il entretient une collaboration privilégiée durant toute sa carrière, en réalisant lui-même ses œuvres dans l’atelier (Cingria, s.d. et Hostettler, 2001). Les quatre vitraux du vestibule ayant été réalisés en janvier 1926, il s’agit probablement de la première collaboration entre Cingria et l’atelier. Ils travailleront ensuite ensemble aux verrières de l’église d’Echarlens (par exemple GSL_132), puis à celles de l’église Saint-François de Lausanne.
Pour définir les sujets à représenter sur les quatre baies du vestibule, l’artiste discute avec l’architecte et Antoine Jacquet en décembre 1925 à Saint-Paul. Après de longs échanges, il est décidé d’évoquer deux épisodes marquants de la vie de Joseph, Jacob, Tobie et Job en deux registres superposés ([Jacquet], 1925). Pour leur composition, Cingria s’inspire des vitraux français en médaillons des XIIIème et XIVème siècle avec bordure (Cingria, s. d.). Techniquement, il choisit le verre doublé gravé à l’acide pour les sujets narratifs et un travail au pochoir et à la main pour l’ornementation (Cingria, s. d.). Il vient d’utiliser le même procédé à Semsales pour les fenêtres du chœur (par exemple, (GSL_71), et le reprendra pour les vitraux de la nef d’Echarlens (par exemple, GSL_134) et pour les verrières hautes de Finhaut en 1929 (par exemple GSL_117).
Toujours en quête d’expérimentations nouvelles, Cingria propose de créer une large bordure entre les deux fenêtres se prolongeant sur leur pourtour (Cingria, s. d.). Pour des raisons que nous ignorons, seul un bandeau entre les deux vitraux est finalement réalisé. Posé devant le mur, celui-ci ne bénéficie pas de lumière traversante et donne ainsi l’effet d’une mosaïque de verre. Composé de verres aux différentes textures et de différents degrés d’opacité dans un dégradé de tons bruns, il évoque clairement le bois et la technique de la marqueterie. Cette volonté de réunir visuellement les deux verrières pour en faire un diptyque n’est pas sans rappeler le vitrail-retable imaginé par l’architecte Fernand Dumas en 1936 pour le chœur de l’église Saint-Othmar, réunissant autour de la verrière axiale de Cingria (GSL_280) deux panneaux sculptés de François Baud qui en composent les volets. On peut également rapprocher cette oeuvre de la Vierge à l’enfant réalisée par Cingria en 1930 à l’église Saint-Martin de Lutry dans une technique à la jonction de la peinture sous verre et de la mosaïque de verre, qui est elle aussi posée devant un support opaque (GSL_623).
L’Association catholique romaine de Saint-Paul a déposé au Musée d’art et d’histoire de Genève les projets graphiques des vitraux de Cingria réalisés à l’église Saint-Paul, dont les deux cartons pour le vitrail consacré à Jacob (no. d’inventaire : BA 2006-0027-D et 0026-D) (Musée d’art et d’histoire de Genève, s.d.a-b). Alors que Cingria a l’habitude d’apporter des modifications lors de la réalisation d’un vitrail, aucune différence n’est à signaler entre ces deux projets définitifs et la verrière.