Conservé depuis 2008 dans une collection privée en Suisse, ce vitrail constitue depuis 2011 un prêt au Vitromusée Romont. Il est documenté en Suisse depuis 1943, lorsqu’il est passé en vente à Zurich, chez l’antiquaire E. Meyer, comme une oeuvre du début du XIVe siècle provenant de Regensburg (Zurich, Musée national suisse, Photothèque no 37673 – je remercie Fabian Müller pour ces précisions).
Le vitrail représente l’empereur romain Maximien (vers 250-310) ordonnant le martyre de saint Pantaléon de Nicomédie (275-vers 304 après J.-C.), médecin à la cour impériale.
Ce panneau constitue un pendant d’un second vitrail, également conservé au Vitromusée Romont, qui représente saint Pantaléon en train d’examiner un malade, en présence d’un homme coiffé d’une calotte à corne (inv. VMR_666), avec qui il partage une même provenance.
À l’instar de saint Côme et de saint Damien, saint Pantaléon est un saint médecin qui prodiguait ses soins sans demander de l’argent en retour. Originaire de Nicomédie (aujourd’hui Izmit, en Turquie), son culte connut très tôt une importante diffusion en Europe. Selon une ancienne tradition, Charlemagne aurait fait venir des reliques d’Orient pour les répartir ensuite dans différents sanctuaires de sorte que de nombreux édifices et chapelles lui sont consacrés dont, en France, Saint-Denis, Troyes, Lyon, Verdun ou encore Saint-Pantaléon, dans le Vaucluse (Manhès-Deremble 1993, p. 61).
Le vitrail était anciennement considéré comme une oeuvre de Ravensburg du début du XIVe siècle (Zurich, Musée national suisse, Photothèque no 37673). Au revers d’une ancienne photographie argentique non datée, conservée à la documentation du Vitrocentre Romont, il passait également pour une oeuvre du début du XIIIe siècle provenant de Cologne (Romont, Vitromusée Romont, Documentation, VMR_667, consultée le 6 avril 2022). En 2008, sur la base de considérations iconographiques et formelles, Stefan Trümpler, ancien directeur du Vitromusée et du Vitrocentre Romont, proposa avec raison de rapprocher ces deux panneaux d’un cycle de vitraux médiévaux dédiés à saint Pantaléon, conservés dans l’ancienne cathédrale Notre-Dame de Noyon, située dans l’Oise, à une centaine de kilomètres au nord-est de Paris (Trümpler, lettre dactylographiée, 2008, 18 décembre – cf. Romont, Vitromusée Romont, Documentation, VMR_666, consultée le 6 avril 2022).
Construit sur l’emplacement de trois basiliques successives, siège de l’évêché de Noyon du VIe siècle à la Révolution, cet édifice brûla en 1131. Sa reconstruction fut aussitôt entreprise après l’incendie et le choeur fut achevé en 1157, la nef vers 1220, la façade, le porche et le clocher sud entre 1220 et 1230 (Grodecki, Taralon, Perrot 1978, p. 203 ; Hérold 1987, p. 107-109).
L’ancien revestiaire (sacristie) de cet édifice abritait un cycle de douze panneaux retraçant l’histoire de saint Pantaléon, dont neuf ont été remontés vers 1825 dans les deux baies de la chapelle d’axe, où ils se trouvent encore aujourd’hui, tandis que les trois panneaux manquants – dont deux sont aujourd’hui conservés au Vitromusée Romont – ont été remplacés par des panneaux modernes (ibid., p. 108).
Dans l’ancienne cathédrale Notre-Dame de Noyon, la baie de gauche représente, de haut en bas et de bas en haut, la rencontre de l’empereur Maximien et de saint Pantaléon, deux physiciens dénonçant Pantaléon comme chrétien auprès de l’empereur, Pantaléon attaché sur une croix et torturé au moyen de torches enflammées, Pantaléon livré aux bêtes sauvages, la décollation de Pantaléon et la roue du supplice écrasant plusieurs spectacteurs. Dans la baie de droite, figurent, en revanche, Pantaléon subissant le supplice de la roue, la décapitation d’Ermolaus, maître de Pantaléon, et Pharisiens et Païens denonçant la foi de Pantaléon (ibid.).
Le choix iconographique de la vie de saint Pantaléon pour l’ancienne cathédrale Notre-Dame de Noyon et l’emplacement d’origine de la verrière s’expliquent par la présence de reliques, alors conservées dans la salle du trésor qui se situait juste au-dessus du revestiaire (ibid., p. 108, n. 12, renvoyant à Levasseur 1633, p. 1305).
Sur la base de la chronologie du chantier, la verrière est datée entre 1220 et 1230 (Grodecki, Taralon, Perrot 1978, p. 203 ; Hérold 1987, p. 108), ce que confirment le style d’une part et, d’autre part, la popularité du saint en France à cette époque (Manhès-Deremble 1993, p. 61 ; voir ci-dessous). L’état matériel des panneaux et leur actuel système de lecture trahissent cependant de nombreuses campagnes de restaurations, de remaniements et de déplacements, dont les plus importantes sont documentées dans le dernier quart du XVIIIe siècle et, surtout, au XIXe siècle (Hérold 1987, p. 108).
La cathédrale souffrit sévèrement de la Révolution (Lefèvre-Pontalis 1900, p. 87-96). La verrière, qui se composait originellement de douze vitraux, fit l’objet d’au moins deux déposes : la première, entre la Révolution et 1825, lorsque seuls neuf panneaux ont été remontés ; la deuxième, entre 1870 et 1874, lorsque la guerre franco-prussienne éclata et que la verrière fut lourdement restaurée par un verrier du nom de Oudinot (ibid., p. 96 ; Hérold 1987, p. 108).
La Médiathèque de l’architecture et du patrimoine de France possède des photographies, non datées, réalisées d’après des documents plus anciens, représentant chacun des douze vitraux lors d’une dépose, dont les deux panneaux aujourd’hui conservés au Vitrocentre Romont (Charenton-le-Pont, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Département de la photographie, nos MH0183533 et MH0183537).
Une comparaison entre ces photographies non datées et les photographies prises en 1943 à Zurich – pour les deux panneaux conservés aujourd’hui au Vitrocentre Romont (Zurich, Musée national suisse, Photothèque nos 37672 et 37673) – permet de situer la lourde restauration avant cette date d’une part et, d’autre part, d’émettre l’hypothèse selon laquelle la campagne photographique non datée – tout comme la restauration – pourrait correspondre à la dépose entreprise entre 1870 et 1874, ce qui signifierait que les panneaux du Vitromusée Romont étaient encore à Noyon à cette date, bien qu’ils n’aient jamais été remontés dans la verrière correspondante.
Une comparaison iconographique, formelle et stylistique entre les deux panneaux du Vitromusée Romont et la verrière de l’ancienne cathédrale Notre-Dame de Noyon confirme cependant bien l’appartenance de ces panneaux à un même ensemble. À titre de comparaison, la figure de saint Pantaléon examinant un malade est très proche de celle attachée sur une croix, tandis que le visage de l’empereur Maximien ordonnant le martyre de saint Pantaléon est identique à celui représenté lors de la rencontre entre l’empereur et le saint. Sur cette base, les panneaux du Vitrocentre Romont peuvent également être datés entre 1220 et 1230.
Le nom du peintre-verrier ou de l’atelier qui est à l’origine de ces panneaux n’apparaît malheureusement pas dans les comptes de l’ancienne cathédrale Notre-Dame de Noyon de sorte que leur invention tout comme leur exécution n’est pas documentées. Ils pourraient soit revenir à un peintre-verrier actif sur le chantier, soit à un artiste itinérant, actif en France dans la première moitié du XIIIe siècle.
Il existe en effet à la cathédrale de Chartres une verrière retraçant l’histoire de saint Pantaléon (baie 11) qui, datée de 1220-1225, présente quelques affinités narratives et formelles avec celle de l’ancienne cathédrale de Notre-Dame de Noyon, avec qui elle partage par conséquent une même période historique, culturelle et artistique (Manhès-Deremble 1993, p. 9-17, 314-315).