Ce vitrail, réalisé par l’artiste genevois Alexandre Cingria, date de 1918 et a été exposé au Pavillon des marchands à Paris cette même année (Cingria, [1944], p. 2), avant d’être présenté à l’Exposition nationale de Bâle en 1919, où il a été acquis par le Musée des des arts décoratifs de Genève sur l’allocation budgétaire et déposé le 25 janvier 1922 au Musée des Beaux-arts à Genève. Cet achat démontre l’esprit d’ouverture du milieu muséal genevois au renouveau du vitrail qui montre ses premiers signes avec les œuvres dudit artiste à la Basilique Notre-Dame de Genève dès 1913 (par exemple GE_18.28) et ensuite avec Maurice Denis, Marcel Poncet et Charles Brunner à l’église Saint-Paul à Cologny, vitraux s’inscrivant dans la continuité d’un bousculement initié par Mehoffer dès 1894 à Fribourg avec ses premières verrières à la cathédrale Saint-Nicolas.
Bien que Cingria n’ait alors que peu d’expérience dans le vitrail, il a clairement évoqué en 1917 dans son manifeste La Décadence de l’art sacré son dédain pour le vitrail historiciste. Il deviendra l’un des acteurs majeurs du renouveau de l’art sacré en Suisse romande durant l’entre-deux-guerres. En 1919, il fonde avec Marcel Poncet le Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, première bouture de la société artistique catholique connue sous le nom de "Groupe de Saint-Luc" (Andrey, 1995, p. 33-45) qui deviendra dès 1924 la Société Saint-Luc au niveau national. Cingria en devient le principal animateur et président de la partie romande, jusqu’à son décès en 1945.
Il est difficile de savoir avec certitude quel est l’atelier qui a réalisé cette oeuvre verrière. Nous savons que l’artiste genevois a débuté sa collaboration avec l’atelier Chiara de Lausanne seulement en janvier 1926 à Saint-Paul Granges-Canal à Cologny (Cingria, [1926]). Quant à l’atelier fribourgeois Kirsch et Fleckner, Cingria relate qu’il a travaillé avec lui pour la première fois en 1927 pour la réalisation des vitraux de la nef de l’église d’Echarlens (Cingria, 1933, p. 21). Il pourrait être de la main du maître verrier genevois Marcel Poncet, avec lequel il travaille dès 1913 à la basilique Notre-Dame de Genève.
Mais il pourrait également avoir été réalisé par le verrier et peintre verrier Eugène Dunand, également Genevois, avec qui Cingria travaille à plusieurs reprises sur différents vitraux pour les églises Sainte-Croix de Carouge dès 1924 et Saint-Michel à Semsales en 1924-1925 et qu’il aurait rencontré sur le chantier Saint-Paul à Cologny. C’est Dunand qui l’aurait encouragé à utiliser des verres structurés dont il se servait pour des verrières d’appartements.
Cette verrière consacrée à l’archange Michel est une verrière de jeunesse du peintre verrier. Il n’a alors à son actif que ses vitraux des fenêtres hautes du choeur de Basilique Notre-Dame de Genève. Pourtant, elle révèle déjà des éléments essentiels du travail en devenir du peintre verrier genevois. La première est le choix des verres. Contrairement à la majeure partie des artistes, Cingria n’hésite à mélanger aux verres antiques des verres industriels divers. Il le relatera très bien en 1933 dans ses Souvenirs d’un peintre ambulant : “Contrairement à l’usage des peintres verriers, je ne craignais pas de mélanger tous ces verres de nature différente, ce qui permet d’obtenir dans le vitrail une préciosité de tons inconnue des anciens verriers” (Cingria, 1933, p. 122-123).
Pour l’archange Michel, il utilise plusieurs types de verre laminé imprimé, dont le verre chenillé. A ses côtés, il profite des effets translucides du verre opalescent, auquel il emprunte ses effets marbrés pour le socle des colonnes et le nimbe du saint. Pour le reste de sa composition, il choisit de mélanger des verres structurés et des verres colorés simples pour apporter une dynamique particulière entre les teintes et créer un certain volume sur les vêtements du saint.
Utilisant abondamment la peinture à la grisaille, il l’appose de manière très diverse, la répandant parfois à l’éponge, comme sur le visage de l’archange, grattant certaines zones avec la pointe d’un pinceau ou les enlevant avec la paume de la main ou au doigt, comme il le relate aussi dans ses Souvenirs d’un peintre ambulant (Cingria, 1933, p. 114-116). Cette spontanéité du geste apporte une dynamique et une vivacité très intéressante au dessin tout en lui amenant lumière et contraste. Parfois il applique également de la grisaille au revers du vitrail pour densifier et souligner certains traits de son dessin comme ici pour les yeux et la bouche de l’archange Michel.