Ce vitrail a été réalisé par Alexandre Cingria en 1936 pour le choeur de l’église Saint-Othmar de Broc. Il est posé dans le cadre de la rénovation de l’église entreprise par Fernand Dumas, qui consiste en un réaménagement de l’ensemble du massif nord-est comprenant le choeur et deux chapelles latérales nouvellement créées, dont la décoration est conçue par les artistes du Groupe de Saint-Luc. Dans le choeur, Fernand Dumas met le vitrail à l’honneur en imaginant un monumental retable très original associant vitrail et panneaux sculptés. Pour cela, il perce le mur du chevet qui ne comprenait pas de fenêtre axiale à l’origine (Dumas, janvier 1935) et conçoit un cadre en bois en légère saillie par rapport au mur, dans lequel s’intègre le vitrail, dont les panneaux sculptés et polychromés de François Baud composent les portes. Les deux vitraux latéraux, également de Cingria, dont celui-ci constitue la partie gauche, complètent visuellement cet ensemble. Ce concept de vitrail-retable se retrouve également dans une autre église rénovée par Fernand Dumas et les artistes du Groupe de Saint-Luc en 1939, celle de Villars-le-Terroir dans le canton de Vaud, où le vitrail axial conçu par Gaston Thévoz est entouré d’un monumental panneau en bois peint par Gaston Faravel. Il s’agit dans les deux cas d’une reformulation moderne de la tradition du tableau-retable d’autel. Renonçant à la formule du retable peint conçu comme un élément mobilier séparable de l’architecture, les artistes du Groupe de Saint-Luc vont se tourner vers des techniques monumentales qui font corps avec elle, à l’instar de la peinture murale, du vitrail ou de la sculpture.
Si l’ensemble de cette intervention s’étale de 1935 à début 1939 (Dumas, 1939), Dumas s’engage à terminer le maître-autel et sa décoration pour la fête patronale du 29 novembre 1936, date à laquelle les trois vitraux figurés du choeur ont dû être achevés (Sudan, [Ecoffey], 1936b). L’artiste a travaillé avec l’atelier Kirsch & Fleckner, maison qui fournit également les vitraux des deux fenêtres latérales ornementales du choeur et des chapelles (Sudan, [Ecoffey], 1936a ; Dumas, 1939).
Originellement, les deux baies correspondant à ce vitrail et son pendant droite étaient des baies en plein cintre à deux lancettes (Dumas, 1935), garnies de vitraux représentant les Évangélistes (Protocole de la séance du Conseil paroissial, 1936b), et probablement issus de l’atelier de Karl Wehrli à Zurich, selon le Dictionnaire historique et statistique des paroisses catholiques du canton de Fribourg (Dellion, 1884, p. 206). Le protocole de la séance du Conseil de paroisse de novembre 1936 indique que ces vitraux devaient originellement être conservés pour être replacés dans les baies des chapelles latérales (Protocole de la séance du Conseil paroissial, 1936b), mais ils seront finalement supprimés sur décision du verrier Vinzenz Kirsch et de Dumas, qui estiment que leur réinstallation aurait coûté plus cher que la création de nouvelles verrières (Sudan, [Ecoffey], 1936a et 1937).
Ce vitrail de Cingria est consacré aux saints patrons de l’ancien prieuré de Broc, saint Antoine le Grand, saint Sylvestre et saint Jacques-le-Majeur. L’artiste a habilement lié les scènes narratives historiques dédiées aux saints dans les losanges centraux avec des illustrations de la vie moderne des années 1930 les accompagnant. Saint Sylvestre, invoqué comme protecteur du bétail, est ainsi représenté à côté d’un paysan fribourgeois et ses vaches et d’un soldat avec ses chevaux ; tandis que saint Antoine, patron des pêcheurs et des vanniers, est situé à côté des illustrations modernes de ces deux professions.
Dans le médaillon avec la tentation de saint Antoine le Grand, Cingria s’est probablement inspiré du récit de Gustave Flaubert, et plus précisément de la scène de la reine de Saba, qui pourrait être cette femme à la peau noire et à l’opulente robe rouge. Dans le texte de Flaubert, celle-ci fait appel à un oiseau fantastique qui l’aide à repérer saint Antoine, qui pourrait correspondre à l’oiseau représenté par Cingria à gauche de la scène (Flaubert, 1890, p. 46-54).
Si aucune source d’archives ne documente la réalisation de ces vitraux et le choix de leurs sujets, la complexité des scènes liées à des aspects spécifiques des saints patrons de la paroisse tend à supposer que Cingria a été guidé et conseillé dans son travail par le curé ou une autre personnalité ecclésiastique maîtrisant parfaitement cette iconographie complexe et qu’une profonde réflexion a dû être menée en amont de leur fabrication. Il n’est pas improbable d’imaginer une collaboration similaire entre l’artiste et le responsable ecclésiastique en place lors du chantier, en l’occurrence le Prieur Seydoux, que lors de la réalisation des vitraux du Foyer franciscain de Saint-Maurice (par exemple, GSL_163 ; GSL_164). Les procès-verbaux du Conseil paroissial de Broc indiquent qu’en septembre 1936, l’artiste a présenté trois projets et que ce n’est “que le troisième qui a été adopté par M. Dumas et approuvé par Monseigneur Besson”. Il présente également au Conseil des maquettes “dont l’effet produit une excellente impression” (Sudan, [Ecoffey], 1936b).
Les archives ne contiennent pas non plus d’explication concernant le choix de Cingria. L’artiste fournit un travail pour l’autel et la statue de la chapelle Notre-Dame des Marches de Broc en 1932, il est déjà donc connu de la paroisse lorsqu’il est question de la décoration du choeur de Saint-Othmar en 1935 (Cingria, 1932).
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