Strawinsky a réalisé cinq maquettes, dont celle-ci, suite à une commande reçue en 1947 pour compléter le cycle verrier de la nef de l’église Saint-Sulpice à Siviriez. Ces maquettes étaient anciennement réunies dans un même cadre avant d’être séparées pour des raisons de conservation.
La comparaison de cette maquette avec le vitrail nous révèle à ce stade du processus créatif un dessin pratiquement définitif, dont seuls quelques détails ont été affinés ou légèrement modifiés, comme la direction du regard de saint Benoît et le geste de la main droite de François de Sales. L’inscription sur la bordure du bas a été raccourcie pour pouvoir être disposée sur une seule ligne.
Pour le projet d’agrandissement de l’église de Siviriez, édifice datant du début du XIXème siècle (Lauper, 2012, p. 188), l’architecte du Groupe de Saint-Luc Fernand Dumas ne prévoit pas de peintures décoratives pour l’église (Barras et Cosandey 1931). Le 28 mai 1933, une soumission est néanmoins organisée entre trois artistes, sélectionnés par Dumas (Defferard, 1935, p. 35) afin de choisir le responsable de la décoration de l’église, mandat attribué au Vaudois Gaston Faravel (Cingria, 1934, p. 67). Il réalise la polychromie générale, un chemin de croix à la peinture minérale sur des plaques de béton (Waeber, 1957, p. 286), le décor de la tribune des orgues (Diesbach, 1939, p. 29), les décors peints des lunettes à la base des arêtes des voûtes et les deux vitraux qui complètent ce décor sur la tribune des orgues. Ces verrières sont réalisées probablement par l’atelier Chiara, qui s’est également occupé des travaux de vitrerie et de la grande verrière zénithale dans le chœur (Barras, Cosandey, 1935), supprimée en 1968 (Raemy, 1986).
En 1947, Faravel est une nouvelle fois appelé à Siviriez pour réaliser les vitraux de la nef. Il n’a le temps de faire que les maquettes de trois vitraux, mourant prématurément en mai de cette même année. C’est Théodore Strawinsky qui est alors choisi pour réaliser les verrières de Faravel et compléter le cycle, en collaboration avec l’atelier Herbert Fleckner à Fribourg. Le programme théologique est élaboré avec le concours de l’abbé Borcard et l’approbation du chanoine Demierre. Les sujets principaux sont empruntés à la vie du Christ et se correspondent de chaque côté de la nef : l’Annonciation et la Nativité, Jésus parmi les Docteurs et Jésus apaisant la tempête, illustrant le double message doctrinal et pacificateur du Christ ; Le Christ au jardin de Gethsémani et la sainte Cène, deux mystères douloureux et la Transfiguration avec la Remise des clefs à saint Pierre. Ces scènes principales sont complétées par des scènes secondaires selon une concordance des thèmes soit tirée de l’Ancien ou du Nouveau Testament pour les scènes supérieures, soit se référant à un épisode de la vie d’un saint pour les tableaux inférieurs (Strub, 1950, p. 55-56).
Le choix de Strawinsky est surprenant, l’artiste étant totalement novice dans l’art verrier. Les archives de la paroisse ne nous apprennent malheureusement rien sur les circonstances de ce choix. L’artiste a collaboré avec l’atelier fribourgeois d’Herbert Fleckner pour l’ensemble du cycle. Ces nouvelles verrières remplacent les vitraux du XIXème siècle, qui avaient été gravement endommagés suite à un orage de grêle le soir du 11 juin 1942. Malgré l’intervention de l’atelier Fleckner, celles-ci étaient très abîmées. Dès février 1943, le curé parle de la nécessité de les remplacer et propose de faire deux quêtes à l’église durant l’année pour obtenir le financement nécessaire, le conseil de paroisse approuvant totalement cette idée (Oberson et Cosandey, 1943).
D’un point de vue des coloris, Strawinsky joue entre teintes chaudes et froides tout en variant leur dominance selon le message transmis par les scènes narratives. D’un point de vue compositionnel, il respecte les éléments principaux imaginés par Faravel : trois scènes superposées accompagnées d’inscriptions latines et entourées d’une large bordure sur les côtés de laquelle sont insérés quatre personnages, qu’il dispose avec une grande liberté. D’une part, il déplace les inscriptions sur la bordure pour gagner de la place pour la scène centrale et d’autre part, il agrandit sensiblement la taille des personnages situés sur celle-ci, atténuant leur hiératisme pour les faire participer plus directement à la narration principale. Ces changements apportent une plus grande dynamique aux vitraux qui paraissent aussi plus imposants, puisque non ceints totalement par cette bordure. Strawinsky renonce également aux fins encadrements entourant chaque scène, permettant ainsi un rapport plus direct aux épisodes historiés. L’ensemble de ces changements amène une forme de modernité à sa composition, qui n’en n’est pas moins lisible et équilibrée. L’artiste semble aussi comprendre l’avantage des lignes de plomb non assujetties au dessin mais lui apportant au contraire beaucoup de vivacité. Cela est d’autant plus étonnant pour un artiste néophyte dans le domaine verrier. Cette première expérience dans l’art du vitrail à Siviriez permet à Strawinsky d’établir les bases du langage verrier qu’il développera et fera évoluer dans les années suivantes autant dans le domaine sacré que profane, dont l’un des exemples les plus emblématiques est le cycle de dalles de verre de l’église du Christ-Roi à Fribourg réalisé en 1969-1971.