Ces quatre verrières du choeur de l’église Saint-Pierre-aux-Liens de Mézières, comme celles qui leur font face, sont l’oeuvre d’Alexandre Cingria. L’artiste et animateur principal du Groupe de Saint-Luc a probablement été appelé par l’architecte de l’église, Fernand Dumas, lui-même un membre emblématique de cette Société artistique catholique, pour cette réalisation. Ni signées, ni datées, elles peuvent lui être attribuées grâce à une facture, dans laquelle l’artiste mentionne avoir élaboré les cartons et surveillé l’exécution de ces verrières (Cingria, 1939). Elles ont été réalisées par l’atelier fribourgeois Kirsch et Fleckner en janvier 1939 (Kirsch et Fleckner, 1939).

Dans le devis descriptif que Dumas présente à la commission de bâtisse le 15 janvier 1937, il envisage pour la nef “des vitraux en verres de couleur avec dessin géométrique et pour les verrières du choeur des vitraux artistiques à personnages” (Dumas, 1937). La question des vitraux est discutée pour la première fois par la commission de bâtisse lors d’une séance en novembre 1938. L’atelier Kirsch et Fleckner fait une offre spontanée, proposant “d’offrir quinze vitraux, à condition qu’ils obtiennent le mandat pour la réalisation des dix-neuf autres, l’ensemble des vitraux coûtant entre huit et dix mille francs”. Cette question étant trop importante, les membres de la commission décident de la soumettre à l’assemblée paroissiale (Pittet, 1938). Un courrier de Dumas à la commission de bâtisse nous apprend que l’offre de l’atelier, associé à Cingria (qui aurait dessiné les projets) est refusée à la fin du mois de novembre 1938 (Dumas, 1938). Le coût des verrières ne rentrant pas dans le devis général de construction, il est vraisemblablement trop difficile pour la paroisse de trouver un financement supplémentaire de cette importance. Contrairement à ce que Dumas prévoit initialement, des verrières géométriques sont donc exécutées dans le choeur, confiées à Cingria et l'atelier Kirsch & Fleckner, et aucune verrière à figure ou narrative n’est réalisée dans l’église. Les verrières de la nef ne seront garnies que de simples vitrages en verre cathédrale coloré jusqu’en 1979, date à laquelle elles seront remplacées par le cycle de vitraux abstraits actuels par l’artiste Yoki (Émile Aebischer).

Cingria, en quête permanente de travail, surtout en ces temps de guerre qui sont encore plus difficiles pour les artistes, essaie d’obtenir en plusieurs étapes la réalisation de l’ensemble des vitraux de Mézières. Comme nous venons de le voir, la proposition de réaliser les vitraux de la nef en collaboration avec l’atelier Kirsch et Fleckner lui est refusée en 1938. L’année suivante, il crée les cartons des vitraux géométriques du choeur, les seuls qu’il réalisera dans l’église. En juillet 1941, il propose de faire don à la paroisse d’un vitrail réalisé de sa propre initiative pour le baptistère de l’église, sur le thème du baptême du Christ, oeuvre qu’il présente en 1939 au Pavillon suisse de l’exposition universelle de New York (Cingria, 1941 et [1944]). Il l’imagine pour la fenêtre centrale, au centre de deux fenêtres latérales traitées “en grisaille”, pour lesquelles il présente une maquette (Dumas, 1941). Il indique que seule la réalisation et la pose seraient facturées à la paroisse, pour un montant de 600 francs (Kirsch, 1941). Dumas conseille vivement à la commission de bâtisse d’accepter cette offre, intéressante d’un point de vue artistique, mais en vain, malgré son prix extrêmement bas (Dumas, 1941). En 1942, Cingria souhaite réaliser une Vierge en vitrail pour remplacer la rosace colorée de la tribune, qui serait, de l'avis de l'artiste, Beretta et Dumas, en total désaccord avec la peinture sous verre réalisée dans le choeur par Emilio Maria Beretta (Cingria, s.d.). Prévoyant de réaliser d’autres travaux à ce moment-là, le conseil de paroisse refuse une nouvelle fois cette proposition (Perroud,1942). Il ne faut pas entrevoir dans ces refus répétitifs un quelconque grief envers Cingria. Le souci central de la paroisse est de ne pas dépasser le budget de construction et celle-ci manque d’argent pour assumer ce genre de dépenses supplémentaires.

A Mézières, Dumas a choisi un parti pris très novateur en utilisant le verre comme matériau central de la décoration (maître-autel, retable, chaire, lampes, chemin de croix) mais, paradoxalement, alors que tout le mobilier liturgique est très moderne, les vitraux le sont nettement moins. Il semble qu’ils aient servis principalement de faire-valoir pour les oeuvres du choeur et son mobilier, elles-mêmes très coûteuses, en particulier la monumentale peinture sous verre du choeur de Beretta faisant office de retable, création majeure de l’édifice (Torche-Julmy, 1997, p. 15-16).

Les deux baies quadripartites ornementales du choeur sont donc les seules oeuvres verrières conçues par Cingria à Mézières. Ces verrières sont des réalisations atypiques dans la carrière de l’artiste. Il est d’ailleurs impossible de les lui attribuer sur la base de critères stylistiques, tant elles s’éloignent de ce qu’il fait habituellement. Cingria a très rarement imaginé des vitraux strictement géométriques. Il était plus coutumier de parties géométriques combinées à des éléments ornementaux (comme à Autigny en 1934), complétant une verrière narrative (Echarlens, 1926, GSL_135) ou servant de fond décoratif pour des vitraux illustrant des saints (église Saint-Pierre-aux-Liens de Bulle, 1931-1932). Néanmoins, Cingria a essayé de leur apporter une petite touche de modernité par un choix minutieux et diversifié des verres, autant par leur structure et leur matière que par leur coloris. Il est clair qu’à Mézières, il a dû se soumettre à la volonté de l’architecte, qui subissait une certaine pression de la part de la commission de bâtisse pour réduire ce genre de frais. Il n’en reste pas moins que ces vitraux ornementaux sont des exemples tout à fait intéressants et rares dans les églises associées au Groupe de Saint-Luc. Leur attribution à l’artiste genevois est un résultat inattendu de nos recherches.