Ce vitrail a été réalisé par Alexandre Cingria et le maître-verrier Herbert Fleckner en 1944, pour la fenêtre de gauche du choeur de la chapelle Notre-Dame des Marches à Broc.
La création de ce vitrail s’inscrit dans la rénovation de l’édifice entreprise entre 1944 et 1946 par l’architecte du Groupe de Saint-Luc, Fernand Dumas. L’architecte romontois avait déjà reçu le mandat de la rénovation de l’église paroissiale Saint-Othmar de Broc, commencée au début des années 1930 et achevée en 1936, chantier pour lequel il fait également intervenir des artistes du Groupe de Saint-Luc pour la décoration, dont Cingria pour les vitraux. Dès 1931, la nécessité de rénover la chapelle de pèlerinage Notre-Dame des Marches devient urgente, et le Prieur de Broc, l’abbé Seydoux, très satisfait du travail de Dumas pour la paroisse, lui confie ce nouveau mandat (Sudan, [Ecoffey], 1931a).
Une première rénovation de la chapelle est entreprise entre 1931 et 1932, reposant sur une rénovation de la toiture, la pose d’un crépi sur les murs, le rafraîchissement des dorures de l’autel et la réalisation d’un manteau avec des broderies de laine pour la statue de la Vierge, créé par l’artiste Marguerite Naville (Sudan, [Ecoffey], 1931b ; Rime, 2005, p. 119-120). A ce moment-là, la question de la réalisation de nouveaux vitraux se pose déjà, mais des oppositions sont soulevées au sein du Conseil de paroisse, certains membres craignant de voir se reproduire “les invraisemblances qui figurent actuellement à l’église de Bulle”, où Cingria et Beretta viennent en effet de réaliser un cycle de vitraux d’une grande vivacité d’expression. Il est alors décidé de remplacer deux anciens vitraux représentant le Sacré-Coeur et la Vierge, probablement placés dans les fenêtres des parois nord et sud du choeur, par de simples “grisailles”, sans faire appel à un artiste pour le dessin (Sudan, [Ecoffey], 1932). L’atelier Chiara à Lausanne envoie en effet une facture de 620 francs pour des vitraux en juin 1932, somme correspondant à des verrières simples et rapides à exécuter (Atelier Vve Pierre Chiara, 1932).
En 1943, une nouvelle rénovation intérieure est à l’étude. Dumas propose un nouveau blanchissage des murs, l’agrandissement de la sacristie, la création de confessionnaux et de bancs, ainsi que le percement de deux fenêtres dans le choeur, jouxtant l’autel (Protocole de l’assemblée paroissiale, 1944). Le prieur de Broc, séduit par les vitraux de Cingria à l’église Saint-Othmar, s’adresse à l’artiste genevois pour la réalisation de deux vitraux pour habiller ces nouvelles baies du choeur, probablement placés à la fin de l’année 1944 (Moullet, 1947, p. 5). Cingria reçoit ensuite la commande de deux autres vitraux pour les premières fenêtres de la nef sur le thème de la Guérison de Léonide Andrey et du Voeu du Captif, remplaçant deux anciennes verrières sur les mêmes thèmes, qui seront offertes au musée gruérien de Bulle (Protocole de l’assemblée paroissiale, 1945). Cingria étant malade du coeur et de plus en plus souffrant jusqu’à son décès en novembre 1945 (Cingria, 1954, p. 67), c’est son gendre, Emilio-Maria Beretta qui les termine, tentant “d’assimiler l’esprit du maître” (Rime, 2005, p. 117). Les deux derniers vitraux projetés pour les fenêtres au-dessus des confessionnaux seront réalisés entre 1945 et 1946 par Beretta seul (Cingria, 1954, p. 67). La pose de ces verrières et d’un chemin de croix en peinture sous-verre de Gaston Faravel mettent un point final à cette rénovation.
La technique utilisée par Cingria pour les vitraux de Notre-Dame des Marches est une technique novatrice à laquelle il s’essaye au début des années 1940, en collaboration avec le verrier Herbert Fleckner. Elle consiste à se passer du traditionnel réseau de plomb en plaçant les pièces de verre entre deux vitres transparentes, auxquelles elles adhèrent lors de la cuisson. Ces vitres sont ensuite peintes au recto et au verso avec du jaune d’argent et de la grisaille, ce qui permet d’obtenir des jeux de profondeur et une densité surprenante malgré la bidimensionnalité du support, tout en répondant au problème de pénurie de plomb durant les années de guerre. D’après un article rédigé à ce sujet par le Père Maurice Moullet en 1947, l’artiste aurait mis plusieurs années à mettre au point cette technique, résolvant un problème qui l’habitait depuis longtemps d’obtenir une composition qui ne serait pas assombrie par la présence des plombs ou du béton, dans le cas de la dalle de verre (Moullet, 1947, p. 5). Cingria profite ici des nouvelles possibilités offertes par ce procédé en jouant sur l’assemblage des couleurs posées les unes à côté des autres, à l’instar d’une mosaïque. Le résultat frise l’abstraction sur certaines zones, notamment dans les arrière-plans. Il crée des interstices plus ou moins apparents entre les pièces de verre, distillant des lignes lumineuses mettant en valeur son dessin. Il accentue également les contrastes en employant pour certains motifs, comme la statue de la Vierge d’Einsiedeln ou le fond derrière la Vierge de Bourguillon, un verre blanc très lumineux qui ressort avec les parties plus foncées qu’il charge plus en grisaille.
Pour ce vitrail, Cingria met à l’honneur les lieux de pèlerinage célèbres de Suisse, principalement mariaux, à l’instar de Bourguillon et d’Einsideln, auxquels il adjoint, dans la partie supérieure, la chapelle du Ranft et la représentation de saint Nicolas de Flüe, saint patron de la Suisse. La fenêtre de droite, qui lui fait pendant, est quant à elle consacrée aux sanctuaires de pèlerinages internationaux : la Salette, Lourdes, et Fatima. Cette iconographie renvoie au statut de la chapelle, elle-même important lieu de pèlerinage marial, reconnue pour ses miracles depuis la guérison de Léonide Andrey en 1884, apportant à la chapelle brocoise une réputation internationale qui lui vaut le surnom de “Petit Lourdes” (Apic, JS, VB, 2007). L’artiste met en dialogue les deux fenêtres par une composition similaire reposant sur l’articulation de différentes zones aux formats irréguliers déclinant les évocations de ces lieux, clarifiés par la présence de bannières déclinant leurs noms ainsi que d’armoiries et de drapeaux liés aux zones géographiques concernées. Il fait se répondre visuellement la scène tout en haut à gauche du vitrail, une vision de saint Nicolas de Flüe où lui apparaît le Christ couronné dont le visage rayonne comme un soleil, avec le “miracle du soleil” ou “danse du soleil”, phénomène miraculeux ayant été observé en 1917 sur le site de Fatima, représenté en haut à droite dans le second vitrail du choeur (Il Timone, 2015).
Le saint représenté au pied de la statue de Bourguillon est probablement saint Pierre Canisius, initiateur de pèlerinages très importants à la chapelle de Bourguillon, notamment durant la peste de 1588, lors de laquelle il aurait été guéri par la Vierge de Bourguillon (Page, 2020). La scène représentée sous la Vierge d’Einsideln correspond, selon Jacques et François Rime, à l’assassinat de saint Meinrad, fondateur d’un ermitage et d’une chapelle sur le site de la future abbaye d’Einsiedeln, qui aurait été assassiné, selon la légende, par deux vagabonds (Rime, 2005, p. 116).