L'artiste fribourgeois Jean-Edouard de Castella cherche, dès 1923, à se faire confier l’ensemble des douze verrières de la nef de l'église de Semsales. Dans une lettre adressée au curé Louis Chanex en juillet 1923, il dit avoir “parlé avec Monsieur Dumas à diverses reprises de ces vitraux” et le croit “assez disposé à user de [sa] collaboration pour cette partie de la décoration, sans toutefois jusqu’ici en avoir eu la confirmation définitive” (Castella, 1923). Le travail lui est confié en juin 1924 et il présente à l'architecte Fernand Dumas et à l’artiste toscan Gino Severini, responsable de la décoration générale de l’édifice, plusieurs maquettes qu’ils refusent jusqu’au printemps 1925, ne les trouvant pas suffisamment bonnes. Dumas arrive finalement à convaincre l’artiste de céder la moitié du travail au Carougeois Eugène Dunand (Radin, 2011, p. 31-33). Castella réalise les six vitraux du collatéral nord et Dunand les sept du collatéral sud. Dumas doit défendre auprès de la Commission de bâtisse cette répartition qui lèse le Fribourgeois d’un vitrail (Rudaz, 1997, p. 79).
Les six verrières de Castella sont posées par l’atelier Kirsch et Fleckner en octobre 1925, comme l’indique une facture de l’atelier fribourgeois (Kirsch et Fleckner, 1925).
Fernand Dumas avait envisagé la configuration des fenêtres de la nef très tôt, puisque dans un texte annexe complétant sa présentation initiale du projet soumis au concours, il avait énoncé ses vues esthétiques et décoratives, particulièrement pour les vitraux qui selon lui, devaient se composer de sujets superposés avec légendes, formule qui avait pour lui “l’avantage de parler à l’âme populaire en excitant vivement sa dévotion” (Ferreiro, 2005, p. 52). Il semble que ses intentions préalables soient devenues définitives, puisque c’est précisément l’aspect général donné à l’ensemble des verrières de la nef. Dumas avait exigé qu’il soit seul à décider de leur composition et avait demandé à ce que cette clause apparaisse dans la convention de construction. Il y est explicitement indiqué que les vitraux de la nef, du choeur et des chapelles “seront composés d’après indications de l’architecte par des artistes peintres-verriers” (Dumas, Chanex, 1923). Castella, contrairement à Dunand, prend le parti d’imaginer une composition différente pour chaque fenêtre. Ayant peu de marge de manoeuvre pour la disposition des scènes narratives, il fait preuve de beaucoup d’imagination pour les bordures et leur ornementation. Chacune d’elle présente une forme originale, parfois complexe, composée dans un flamboiement de couleurs où alternent teintes chaudes et froides. Il semble par contre accorder une attention moindre aux scènes narratives, où son dessin manque parfois d’imagination et surtout de personnalité artistique, personnalité que l'on retrouvait dans ses verrières de la chapelle de Bourguillon et de l’église de Plasselb quelques années auparavant.
Dans le fonds graphique de l’atelier Kirsch et Fleckner, conservé au Vitromusée Romont, se trouvent l’ensemble des cartons de Castella pour Semsales. Leur étude dévoile les différents tâtonnements de l’artiste et le processus créatif à l’origine de ses oeuvres. Les sujets ont été l’objet de discussions, deux d’entre eux ont d’ailleurs été abandonnés (KF_1202 présente les symboles des évangélistes et KF_914 deux scènes liées à la vie du Christ). Une fois les sujets établis, le nombre d’épisodes de la vie d’un saint à représenter sur chaque verrière a été modifié : un projet présente par exemple la vie de Cécile (KF_913) en deux épisodes seulement au lieu de trois sur l'oeuvre verrière. Par contre, l’importance donnée à l’ornementation semble avoir été centrale dès le départ et acceptée rapidement par l’architecte, puisque celle-ci prend déjà une place prépondérante dans les premiers cartons.
Il n’existe qu’un seul carton pour cette verrière consacrée à Pierre Canisius. Il comporte l’inscription “exécution”, laissant penser qu’il s’agit du carton définitif. Le fond ornemental correspond en effet exactement à celui du vitrail, contrairement aux trois scènes narratives superposées, qui sont à l’état d’esquisses et qui ne coïncident en rien avec les scènes représentées sur la fenêtre, étant même sans rapport avec la vie de Canisius, Il semble que ces trois dessins n’aient été ébauchés que dans le seul but de donner une impression générale de la verrière à venir. Un autre élément, plutôt surprenant, est à relever sur ce carton. Les inscriptions sur les bordures de chacune des scènes ne les décrivent pas, comme pour les autres verrières. Elles forment une phrase continue qui n’a aucun lien non plus avec le sujet général du vitrail : “aucune oeuvre d’art si habile qu’elle soit ne saurait avoir de valeur durable sans cette impression de mesure il est de toute importance dans ce monde d’avoir une impression exacte de la valeur des choses [?]er au d[?]”. Ce texte semble être une opinion personnelle de l’artiste. Est-ce un message adressé à l’architecte Dumas ? Cela n’est pas impossible, puisque l’artiste a dû se sentir malmené par celui-ci durant des mois, en le voyant refuser toutes ses propositions de maquettes et cartons. Ou serait-il à l’intention de Severini ? Nous savons que l’artiste toscan voulait imposer Cingria pour la réalisation des verrières, ce que Dumas avait refusé. Par ce texte, Castella exprime l’opinion qu’une oeuvre d’art doit être empreinte de mesure et d’une certaine retenue afin de perdurer dans le temps, conception qui n’était pas celle de Cingria. Le Fribourgeois a certainement travaillé pour les vitraux de Semsales avec cette conviction à l’esprit, sans trouver d’écho positif auprès de Dumas et Severini, qui n’a pas caché à l’époque son manque de considération pour l’artiste fribourgeois (Radin, 2011, p. 31-33). Il est facile d’imaginer dans quel esprit ce dernier a travaillé, et il a peut-être souhaité leur répondre par ce canal de communication mystérieux mais original.
L’analyse des cartons issus du fonds graphique de l’atelier Kirsch et Fleckner pour ces vitraux révèlent la démarche artistique de Castella pour ce cycle mais également ses faiblesses. Bien que chaque fenêtre soit consacrée à la vie d’un saint, il a choisi d’accorder une importance prépondérante à l’ornementation et a fait un travail approfondi sur celle-ci. Par contre, les scènes narratives semblent l’avoir beaucoup moins intéressé. Elles s’inscrivent avec ingéniosité dans chacun des cadres imaginés par Castella, mais le dessin des personnages manque de force et de personnalité.
Lorsque Castella travaille à Semsales, il a déjà un certain bagage dans cet art si particulier qu’est le vitrail. Il a reçu sa première commande en 1904 pour les verrières de l’église d’Heitenried, avant de s’attaquer aux verrières de la chapelle de Bourguillon, qui l’occuperont entre 1912 et 1920 (il obtient d’ailleurs une médaille de bronze à l’exposition nationale de Berne en 1914 pour ces vitraux). Entre 1920 et 1922, il réalise le cycle verrier de l’église paroissiale de Plasselb. Inspiré durant ces premières années par les verrières de Mehoffer à la cathédrale de Fribourg, il fait preuve néanmoins d'une vraie personnalité artistique, qu’il affirmera à nouveau de manière éclatante dans ses verrières de l’église Saint-Pierre de Fribourg entre 1941 et 1945, mandat l’amenant à collaborer à nouveau avec Fernand Dumas et Severini (par exemple GSL_206 ; GSL_207).