Ce vitrail ainsi que six autres oeuvres, dont un carton, ont fait l’objet d’une donation au Musée Ariana de Genève en 2020 par le verrier et peintre verrier bernois Martin Halter, représentant la troisième génération de l’atelier Halter.
Selon lui, ce vitrail a été réalisé par un peintre verrier inconnu au XIXe siècle et est devenu propriété de l’atelier Halter à une date inconnue, mais avant son arrivée dans l’atelier familial en 1981. Les circonstances de son acquisition sont tout aussi mystérieuses et n’ont malheureusement pas fait l’objet d’écrits. Peut-être provient-il d’une succession privée ou d’un ancien client de l’atelier ? Peut-être que le père de Martin, Eugen Halter ou son grand-père, Louis, l’avait acquis lors d’une vente aux enchères auxquelles ils participaient parfois (Martin Halter, communication par courriel, 17 juillet 2023).
Ce vitrail est une copie de la partie supérieure d’un vitrail de Hans Funk “Der alte und der junge Eidgenosse” (BE_828) datant vers 1535, qui est propriété du Musée historique de Berne depuis 1931. Selon l'opinion généralement admise, la scène de bataille dans la partie haute de cette oeuvre verrière fait allusion à la victoire remportée par les Confédérés en 1513 à Novare durant la Guerre de la Ligue de Cambrai. Les Confédérés, au service du duc de Milan Maximilien Sforza, ont écrasé les troupes qui se battaient pour le roi de France, renforçant ainsi leur gloire guerrière. Cette œuvre compte parmi les vitraux suisses les plus importants et les plus précieux de la première moitié du XVIe siècle (Halser & Keller, 2016).
La scène de bataille reproduite dans l'image supérieure du vitrail de Funk est représentée sous une forme simplifiée dans un projet du Kupferstichkabinett de Bâle, qui a été désigné ultérieurement par le monogramme d'Holbein "HH". Heinrich Oidtmann (1905, p. 138, 257) en a tiré la conclusion erronée que Hans Holbein le Jeune avait dû peindre le haut du vitrail vers 1517 à Lucerne et l'emporter ensuite à Bâle. C'est là qu'elle aurait été achetée par Niklaus Manuel (1484-1530) et achevée par ce dernier à Berne avec l'aide de son fils Hans Rudolf (c’est ainsi que s’expriment Rochholz en 1835 (p. 419-421), Grüneisen en 1837 (p. 183), Tobler en 1882 (p. 37), Hafner en1888 (p. 7) et plus tard Stumm en 1911 (p. 250). Selon les explications convaincantes de Hans Lehmann (1937, p. 459), l'image supérieure du vitrail n'a rien à voir avec Holbein, pas plus que le texte avec Hans Rudolf Manuel. Le projet mentionné ne peut pas être attribué à Holbein, ni être considéré comme un modèle direct pour la scène de bataille du vitrail. Il est probable que les deux scènes de bataille reflètent plutôt le même modèle disparu (Menz & Wagner, 1979, p. 478, n. 6). Comme le suggère Rudolf Wegeli (1931, p. 14) on peut considérer que l'auteur de ce modèle est plutôt Niklaus Manuel que Hans Holbein. Soucieux de préserver la paix au sein de la Confédération, Manuel s'engagea pour la réconciliation des deux partis religieux en conflit (Wegeli, 1931, p. 14, ill. p. 5). Plusieurs éléments, notamment la figure du "Vieux Confédéré" correspondant au paysan du vitrail héraldique de (Georg?) “Schöni” conservé au Musée historique de Berne, réalisé vers 1530 dans l'atelier de Hans Funk d'après un modèle qui n'existe plus et qui est probablement également de Manuel (BHM Berne, inv. 6558 ; cat. Manuel 1979, p. 472 s., ill.), plaident en faveur de l'attribution de l'œuvre à Hans Funk, généralement acceptée aujourd'hui et défendue par Paul Ganz (1925, p. 266-268) et Hans Lehmann (1937, p. 459) (Halser & Keller, 2016).
Il existe une copie du vitrail par Louis Hérion au Musée national suisse de Zurich en tant que legs du Dr H. Angst (Wegeli, 1923, p. 116). De plus, le Musée historique de Berne en possède une réplique à l'aquarelle de 1885 (BHM Berne, Inv. I. 929) ainsi qu'une autre copie (Inv. 22818). Il existe plusieurs calques (partiels) de Hans Drenckhahn de ce vitrail dans son fonds au Vitrocentre Romont (dossier 14/4). Les calques en question montrent la tête du Vieux Confédéré, les armoiries de Nägeli, la plupart des drapeaux suisses, le sol et des parties de l'architecture (Halser & Keller, 2016).
La présente copie du XIXe siècle de la partie supérieure du vitrail de Funk montre la maîtrise picturale et technique du verrier qui l’a réalisé. En effet, l’auteur de cette copie exploite pleinement ses talents de dessinateur pour reproduire à l’identique la scène de bataille et ceci dans les moindres détails. Son travail de verrier va dans le même sens, poussant l’imitation jusque dans la disposition du réseau de plomb, similaire au modèle de Funk, à l’exception des plombs de casse qu’il ne reproduit pas. Il prouve de plus sa parfaite maîtrise de la technique de la gravure à l’acide, plus précisément sur les bannières flottant au vent. Il a fait un seul écart par rapport à l’original de Funk, se permettant de modifier quelques nuances de coloris pour certains drapeaux.
Ce n’est pas étonnant que cette copie soit devenue propriété de l’atelier Halter. Les trois générations ont démontré leur exigence autant dans leur travail pictural que technique. Cette pièce mettant parfaitement en valeur ces deux aspects, elle ne pouvait que séduire les maîtres verriers de l’atelier. Si l’oeuvre est restée propriété de l’entreprise familiale jusqu’en 2020 c’est probablement pour ces mêmes raisons.