Ce vitrail fait partie avec GE_2129 du cycle de soixante-sept panneaux armoriés offerts entre 1591 et 1603, puis entre 1611 et 1623 au cloître du couvent cistercien de Rathausen, à Lucerne. Ces verrières relatent des épisodes de la vie du Christ, de la Vierge Marie, ainsi que de l’Ancien Testament, notamment au travers de l’histoire d’Adam et Eve. C’est sur ce dernier thème que portent les représentations des deux vitraux conservés au Musée Ariana à Genève. Alors que le présent panneau donné en 1595 illustre Adam et Eve chassés du Paradis, le second daté de 1623 figure les mêmes personnages dans le jardin d’Eden (GE_2129). Le Musée national suisse conserve également deux panneaux représentant Adam et Eve, avec la Création d’Eve donné en 1611 (IN 49/1 ; Schneider, 1971, n° 487) et la Chute de l’Homme en 1598 (IN 49/16 ; Schneider, 1971, n° 417). Ces quatre panneaux dédiés à la création de l’Homme et à sa chute étaient à l’origine insérés dans les baies de l’aile est du cloître, commençant le cycle.
Cette importante donation de vitraux destinés à orner les baies du cloître du monastère féminin de Rathausen s’inscrit dans la suite d’une campagne de rénovation de l’édifice. Après le Concile de Trente (1545-1563), les quatre couvents féminins de la campagne lucernoise se trouvent dans une situation critique en raison de la diminution de leurs rangs et du mauvais état général des bâtiments (Sommer-Rahmer, 2010). Dès lors, le Conseil de Lucerne décide de regrouper les couvents, notamment à Rathausen (Ruoss, 2020, p. 11). Entre 1588 et 1592, des travaux de rénovation du monastère sont entrepris et plusieurs nouvelles adjonctions architecturales voient le jour, à l’instar du cloître (Hörsch, 2016, p. 13). D’après d’anciens témoignages datant d’avant la dissolution du couvent, les panneaux étaient installés dans la moitié supérieure des fenêtres en plein cintre en nid d’abeille du cloître (Hennig & Meyer, 2009, p. 114 ; Ruoss, 2020, p. 13). Présentés dans le sens horaire, les verrières narraient sur six fenêtres les épisodes de l’Ancien Testament, annonçant la venue du Christ, puis figuraient sur soixante panneaux les épisodes de la vie du Christ et de Marie (avec entres autres l’Annonciation, le Christ aux Limbes, la Résurrection, la Pentecôte, le Couronnement de Marie, etc.), avant une représentation du Jugement dernier (Hennig & Meyer, 2009, p. 115).
Parmi la multitude de donateurs se trouvent des notables, ecclésiastiques, villes et institutions de Lucerne et de diverses régions catholiques de la Confédération. Dans une lettre, le directeur des travaux et aristocrate Jost Pfyffer et le nonce Ottavio Paravicini indiquent à l’attention des moniales de Rathausen que la commande de ce cycle de vitraux est sous leur responsabilité (Ruoss, 2020, p. 12-13). L’abbesse Magdalena Schyner contacte ainsi différents donateurs potentiels en vue de contributions financières et, grâce à la somme reçue, fait réaliser en leur nom une verrière armoriée pour le cloître du couvent (Hennig & Meyer, 2009, p. 114).
Le présent panneau a été donné en 1595 par Ulrich Wittweiler (1535-1600), alors qu’il était abbé du monastère bénédictin d’Einsiedeln (SZ), fonction qu’il a occupée de 1585 jusqu’à sa mort. Il s’agit de la seule donation connue de l’abbé. Ses successeurs ont largement perpétué cette tradition de donation de vitraux. Tout comme le panneau de Wittweiler, les suivants encore conservés à ce jour combinent les armes de l’abbaye d’Einsiedeln, de l’abbé donateur, du monastère féminin de Fahr (?) et du prieuré Sankt Gerold (?) (dépendant tous deux de l’abbaye d’Einsiedeln) et représentent généralement les saints patrons de l’abbaye ainsi que la Vierge Marie. Sur le présent panneau, le saint figuré sur la droite n’est pas identifié avec certitude. Au vu de ses attributs, il pourrait s’agir de saint Meinard d’Einsiedeln, fondateur de l’abbaye du même nom. La Vierge Marie à gauche pourrait également apparaître en tant que sainte patronne du monastère.
La structure des vitraux en plein cintre est composée de manière similaire dans la majorité du cycle. La représentation centrale richement décorée est accompagnée de saints personnages en pied sur les bords, devant des colonnes. Dans la partie supérieure, au sommet de l’arc, se trouve un cartouche tenu par deux anges qui comporte une inscription biblique relative à la scène principale. La plinthe inférieure contient quant à elle les armoiries et une inscription des commanditaires, insérée dans un encadrement flanqué d’angelots. Afin de garantir une cohérence de style et de composition malgré le grand nombre de commanditaires et la durée sur laquelle s’est déroulée cette imposante donation, l’exécution d’au moins trente-quatre panneaux a été confiée entre 1591 et 1611 à l'atelier lucernois de Franz Fallenter (vers 1550-1612) (Hennig & Meyer, 2009, p. 115). Du point de vue de la date et du style, le présent vitrail peut également être attribué à ce peintre verrier, malgré l’absence de son monogramme.
Les verrières sont réalisées d’après des dessins préparatoires issus de plusieurs ateliers de peintres verriers. Parmi les huit cartons de ce cycle qui ont été conservés jusqu’à aujourd'hui, quatre sont signés de la main du peintre verrier de Schaffhouse Daniel Lindtmayer (1552-1606/1607) et quatre autres du zurichois Christoph Murer (1558-1614) (Ruoss, 2020, p. 9). Aucun d’entre eux n’a trait à l’épisode de l’Ancien Testament figuré sur le présent vitrail.
Entre 1618 et 1624, dans le même laps de temps que la fin de la donation des panneaux de Rathausen, le couvent des capucines Sainte-Anne im Bruch à Lucerne reçoit également à l’occasion de sa consécration un cycle de vingt-neuf verrières. Tout comme le couvent de Rathausen, l’ensemble est réalisé d’après les dessins préparatoires de Murer et de Lindtmayer. Leur exécution est confiée non pas à l’atelier de Fallenter, mais à celui de Jakob Wägmann qui a également créé plusieurs vitraux pour Rathausen. Dès lors, malgré quelques différences thématiques et stylistiques, des similitudes apparaissent entre les deux cycles dans la composition et le dessin (Hennig & Meyer, 2009, p. 115 ; Horat, 1997). Outre Sainte-Anne im Bruch, les dessins réalisés pour le cycle de Rathausen ont par la suite servi de modèles aux deux maîtres à plusieurs reprises pour des commandes de cycles ou de panneaux individuels dans les années qui ont suivi (Ruoss, 2020, p. 18).
Les verrières ont été mises en vente par le canton de Lucerne en 1848, à la sortie de la guerre du Sonderbund, afin de rembourser les coûts élevés du conflit. Elles ont été déplacées chez le banquier de Saint-Gall James Meyer, puis vendues à Londres, Paris, Vienne ou encore Berlin. Sur l’ensemble de soixante-sept pièces que formait le cycle original, cinquante-cinq vitraux sont aujourd’hui conservés dans des collections publiques suisses, françaises, allemandes et états-uniennes et douze panneaux demeurent perdus. Parmi les vitraux conservés en Suisse, vingt-trois panneaux ont été achetés par le Musée national suisse de Zurich en 1890 à Paris (Schneider, 1971, n° 395, 396, 403-405, 417-423, 455-459, 487, 503-505, 510, 511), un se trouve au Museum des Landes Glarus à Näfels et deux autres sont conservés depuis 1890 dans les collections du Musée Ariana à Genève.
Cité dans :
Sidler, 1905, p. 101, n° 26.
Wartmann, 1908, p. 17.
Deonna, 1938, p. 53, n° 41.
Lehmann, 1941, p. 146.
Hennig & Meyer, 2009, p. 114-115.
Ruoss, 2020, p. 1-22.
Raguin, 2024, in press.