Selon Hans Lehmann, le vitrail aurait été propriété du marchand d’art Albert Huber, Gasthaus Zur Krone à Sihlbrugg (ZH) (V&A, documentation, état du 16 février 2021 – cette information n’a pas pu être établie). Provenant de la collection T. Anstey Guthrie dont l’ensemble a été légué au Victoria and Albert Museum en 1934, il était considéré lors de son entrée dans les collections comme suisse et daté entre 1540 et 1569 (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013 ; sur le legs, voir ibid., inv. C.73-1934).
Les armoiries représentées à droite appartiennent aux Egli de Lucerne, une famille originaire de Bâle documentée à Lucerne depuis 1437 (Vivis 1924, p. 788). Cette idenfication est corroborée par le phylactère du vitrail où sont mentionnées Altishofen et à Willisau, deux localités situées dans le canton de Lucerne. Ancien bailliage, district et cercle électoral du canton de Lucerne, le comté de Willisau était formé des terres dépendant du château habsbourgeois de Willisau ; il fut peu à peu divisé en seigneuries, dont celle d’Althishofen, qui furent rachetées en 1407 par Lucerne (Hörsch 2015 et Bickel 2020, consultés le 16 février 2021).
Les armoiries représentées à gauche sont celles de l’ordre teutonique. Fondé en Palestine en 1190 pour défendre la Terre sainte et venir en aide aux malades, pèlerins et croisés, l’ordre teutonique comptait, à côté des chevaliers proprement dits, des prêtres, des frères servants, des serviteurs et des sœurs, ayant prononcé les vœux monastiques de pauvreté, de chasteté et d'obéissance et étant soumis à la direction centrale d'un grand maître, assisté d'un chapitre général. Sur le territoire de la Suisse actuelle, des commanderies, rattachées au bailliage d'Alsace et Bourgogne, furent créées aux XIIIe et XIVe siècle à Bâle, Berne, Hitzkirch, Köniz, Sumiswald et Tannenfels, chacune d'entre elles étant dotée d'un certain nombre d'établissements et de biens. L'ordre teutonique était aussi seigneur foncier et détenait des droits de patronage ecclésiastique (à Berne notamment). Vers la fin du Moyen Âge et en raison de la Réforme, le nombre d'établissements et de membres diminua fortement, bien que quelques commanderies subsistassent même dans des régions passées au protestantisme (par exemple à Bâle). Les dernières furent supprimées en Suisse au début du XIXe siècle, comme Hitzkirch en 1806 (Maier 2010, consulté le 16 février 2021).
Dans le vitrail de Londres, le donateur, Damian Egli, est qualifié de marguillier d’Altishofen et de chambrier de Willisau. Le nom de Damian Egli apparaît en effet à plusieurs reprises dans les archives d’Etat de Lucerne entre 1557 et 1578, principalement en qualité de curé d’Altishofen et souvent pour des querelles avec les paroisses avoisinnantes (Lucerne, Staatsarchiv).
Comme le rappelle Lehmannen 1941, la paroisse d’Altishofen dépendait de la commanderie des chevaliers teutoniques de Hitzkirch (LU) (Lehmann 1941, p. 98). Fondée peu avant 1237, la commanderie demeura modeste et comptait des membres de la noblesse suisse ou allemande, tandis que les religieux et le personnel étaient souvent d'origine allemande. Trois ans après la conversion du commandeur Hans Albrecht von Mülinen au protestantisme en 1528, Lucerne annexa Hitzkirch et y installa pour commandeurs des clercs confédérés. L'établissement fut rendu à l'ordre en 1542. Des cinq commanderies de chevaliers teutoniques que comptait la Suisse, celle de Hitzkirch fut la seule qui survécut à la Réforme (Hörsch 2007, consulté le 16 février 2021).
Une datation du vitrail de Londres située entre 1530 et 1540 pourrait rappeler la fidelité d’Altishofen à la foi catholique ainsi qu’à la commanderie de Hitzkirch.
En 1935 puis en 1941, Hans Lehmann attribua le vitrail de Londres au peintre-verrier Martin Moser (v.1500-v.1568), un peintre-verrier originaire de Zurich qui fut actif à Lucerne (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013 ; Lehmann 1941, p. 98, fig. 139-140). En 1935 puis en 1954, Paul Boesch réfuta cependant cette attribution et classa prudemment l’oeuvre parmi les anonymes, sans formuler toutefois de nouvelle hypothèse sur son exécution (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013 ; Boesch 1954f, p. 78).
De bonne qualité, le vitrail de Londres semble plutôt revenir à un peintre-verrier non dépourvu de style actif à Lucerne dans le deuxième quart du XVIe siècle.
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