Ce vitrail et son pendant (GE_2256) sont issus de la baie sud du choeur de l’église Mariä Himmelfahrt d’Eriskirch, en Allemagne. Cette fenêtre, découpée en sept niveaux, est dédiée à la légende de la découverte de la Vraie Croix par sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin. Dans un encadrement architectural, trois scènes superposées représentent de haut en bas les principaux épisodes de la légende. Envoyée à Jérusalem après la miraculeuse victoire militaire de son fils, Hélène s’adresse aux Juifs afin de retrouver la croix sur laquelle le Christ a été crucifié. Elle est emmenée au Golgotha où les trois croix du Christ et des larrons lui sont présentées. Afin de définir laquelle est celle du Christ, elles sont tour à tour imposées sur une dépouille afin de révéler leur caractère miraculeux : la morte ressuscite alors, suite à son exposition à la Vraie Croix. Ce dernier épisode, aujourd’hui conservé à l’Ariana, était à l’origine situé dans la partie basse de la baie. Il était couronné d’une architecture composées d’arches plein cintre et de balustrades avec des anges.
La bordure inférieure des deux vitraux présente une inscription fragmentaire, dont les parties perdues ont été complétées à l’aide de pièces de remploi provenant de l’ancienne fenêtre d’axe (Becksmann, 1986, p. 55). Le texte fragmentaire “hic sancta crux [...] / [...]ct mo[...] et domina de werden[berg]” a été remanié et complété sur la copie en “hic sancta crux imponitur / et mortuus in vitam reediit”, que l’on peut traduire par “ici, la croix est posée et le mort est revenu à la vie”.
Une seconde verrière consacrée aux donateurs et aux saints, anciennement insérée dans la baie d’axe, se trouve aujourd’hui dans la fenêtre nord. Bien que ces vitraux aient été remaniés au début du XIXe siècle suite à l’installation d’un retable baroque dans le choeur (Gast & Scholz, 2023), ils présentent aujourd’hui encore des liens formels, tels que leur composition architecturale similaire (Becksmann, 1986, p. 46). Les vitraux d’origine de la baie nord, représentant des saints, ont été dispersés lors de leur mise en vente sur le marché de l’art de Munich au XIXe siècle (cf. Becksmann, 1968, p. 43 et suivantes ; Gast & Scholz, 2023).
Les vitraux des baies du choeur de l’église ont été offerts par la famille des comtes von Montfort (Gast & Scholz, 2023), principalement par le comte Wilhelms V. von Montfort-Tettnang et son épouse, la comtesse Kunigunde von Werdenberg-Heiligenberg de Bludenz (cf. sous Commanditaires). Cette donation est attestée par diverses inscriptions, représentations et écussons représentés sur les panneaux dédiés aux commanditaires et à des saints, insérés dans l’actuelle baie nord du choeur de l’église, anciennement situés dans la verrière d’axe (Staudacher, 2017, p. 50). Sur la paire de vitraux de l’Ariana, l’inscription fragmentaire “[...] et domina de werden[berg]” située à l’extrémité de la bordure droite (GE_2256) confirme le rôle joué par la comtesse von Werdenberg dans cette commande. Celle-ci permet alors de poser une date post quem à la création des vitraux, étant donné que le couple Montfort-Werdenberg ne s’est marié qu’en 1404 (Staudacher, 2017, p. 50 ; Gast & Scholz, 2023). De plus, une datation ante quem est suggérée par la présence dans la baie nord, de la donatrice de la même famille, Klara von Montfort, qui apparaît en tant que religieuse et non pas en tant qu’abbesse de Buchau, fonction qu’elle a occupé dès 1427 (Staudacher, 2017, p. 50).
Les comtes de Montfort n’ont jamais possédé Eriskirch, ce qui questionne les raisons de cette donation (Spahr, 1976, p. 219). Lapaire (1980, p. 26) a relevé que Schnell, dans son ouvrage de 1973, propose d’inscrire la commande dans le cadre du Concile de Constance, qui s’est tenu entre 1414 et 1418. Cette thèse a depuis été étayée par Staudacher (2017, p. 45-72). La grande qualité d’exécution et le style des vitraux de cette petite église paroissiale, qui rivalise avec les édifices voisins les plus importants, sont dès lors à considérer dans le sillage de cette assemblée (Staudacher, 2017, p. 63). Selon lui, les nombreux signes de royauté et la présence inhabituelle de l’empereur Constantin aux côtés de sainte Hélène peuvent en outre être considérés comme des références à l’empereur Sigismond (Staudacher, 2017, p. 61), dont le rôle a été fondamental lors du Concile.
L’exécution des vitraux a tout d’abord été attribuée à un atelier de peintres verriers actif à Ulm, en Allemagne (Frankl, 1936, p. 110-112 ; Wentzel, 1968, p. 114). Les récentes recherches menées par le Corpus Vitrearum Deutschland attribuent la réalisation du cycle à un atelier de peintres verriers de la région d’Eriskirch, peut-être localisé à Ravensburg, qui avait également travaillé sur les chantiers de vitraux du choeur de l'église paroissiale de Saulgau après 1402 et de l'église Liebfrauen de Ravensburg aux alentours de 1419 (Becksmann, 1968, p. 48-49 ; Gast & Scholz, 2023). Cette attribution résulte de comparaisons entre les couleurs, la composition et le style des motifs, des ornementations, de l’architecture, des personnages et de l’écriture des vitraux. Compte tenu des différences stylistiques entre les verrières d’Eriskirch et de Ravensburg, il est possible d’estimer que ces dernières ont été exécutées un peu plus tardivement, ce qui permettrait une datation des présents vitraux aux alentours de 1412 (Gast & Scholz, 2023).
A l’exception des deux panneaux aujourd’hui conservés à l’Ariana, l’ensemble du vitrage d’origine de la baie sud se trouve aujourd’hui encore dans l’église. Lors de la rénovation de la verrière en 1876-1877 par l’atelier de peintres verriers Kellner & Söhne, les deux panneaux inférieurs ont été ôtés et remplacés par des copies pour une raison inconnue (Gast & Scholz, 2023). La paire de panneaux avec l’imposition de la Vraie Croix a été acquise par le banquier et collectionneur bernois Friedrich Bürki (1819-1880). Elle a ensuite été vendue aux enchères en 1881 à Bâle, avant de rejoindre les collections du Musée Ariana. Le souvenir de la provenance d’origine des vitraux perdu, ils ont dans un premier temps été identifiés par Lehmann (1906, p. 428) comme datant du milieu du XVe siècle et provenant de Suisse romande ou de Bourgogne, avant que Frankl (1936, p. 109) ne les rattachent au cycle d’Eriskirch.
Cité dans :
cat. 1881, p. 26, n° 309-310 ; remarque “Scheibe, Kirchengemälde”.
Lehmann, 1906, p. 428 (274), fig. 83 ; remarque : “milieu du XVe siècle [...] de Suisse romande ou plus probablement de Bourgogne”.
Frankl, 1936, p. 107-112, pl. VII 1 et 2.
Spahr, 1976, p. 254-256.
Lapaire, 1980, p. 27, pl. 8 et 9.
Becksman, 1986, p. 55, fig. 462.
Michler & Vesenmayer, 2012.
Staudacher, 2017, p. 60-62.
Gast & Scholz, 2023.