Ce vitrail, ainsi que les quatre autres disposés côte à côte dans le vestibule de la chapelle Notre-Dame des Vignes à Gorgier (Saint-Aubin) est l’oeuvre de l’artiste Théophile Robert, comme toutes les verrières et la décoration intérieure du petit sanctuaire. Les sources ne nous apprennent pas avec quel atelier il a collaboré.
L’ensemble est réalisé en 1938, lors de la restauration et l’agrandissement de l’édifice par Fernand Dumas, architecte phare du Groupe de Saint-Luc (Juillerat et al., 2011, p. 191).
De confession protestante, (il se convertira au catholicisme en 1940), Robert ne peut adhérer à la Société Saint-Luc mais cela ne l’empêche pas, comme d’autres artistes protestants tel Willy Jordan, de collaborer avec ses acteurs (Amstutz-Peduto, p. 47). Déjà en 1920, son nom figure sur la liste des artistes présentée dans Le Catalogue illustré des travaux exécutés par les membres du Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice (Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, [p. 3]). Dès le début des années trente, il travaille sur différents chantiers menés pour la plupart par des architectes de la Société : une première fois en 1930, pour la réalisation du chemin de croix de l’église de Tavannes, puis pour ceux des églises d’Ependes (1935) et d’Orsonnens (1936) et enfin pour celui du sanctuaire de Saint-Blaise (1939) (Amstutz-Peduto, 2016, p. 61, 62). En 1937, une monographie lui est consacrée dans la série lancée l’année précédente par le Groupe romand de Saint-Luc sur les artistes les plus emblématiques du mouvement de renouveau de l’art sacré en Suisse, intitulée « L’art religieux en Suisse romande » (Noverraz, 2022, p. 74). Il acquiert donc au fil de ses réalisations une vraie respectabilité au sein de la Société. Lorsque l’architecte Dumas restaure et agrandit la chapelle de Gorgier, devant peut-être faire appel à un artiste local pour sa décoration, il pense naturellement à Robert qui habite à Saint-Blaise, au bord du lac de Neuchâtel, et avec qui il vient de travailler à Orsonnens.
Robert conçoit les vitraux probablement en même temps que l’ensemble de la décoration intérieure (peintures murales sur l'arc du choeur et à la tribune des chantres). Ils semblent être sa seule réalisation verrière. Peintre avant tout, c’est avec ce regard qu’il aborde cette expérience inédite.
La série de petits vitraux dans le vestibule illustre, à l’exception de la Remise des clefs à saint Pierre, des scènes bibliques liées à l’eau (Baptême du Christ, Lavement de pieds, Rencontre du Christ avec la Samaritaine). Pouvant être vues de très près et à hauteur de regard, l’artiste crée des scènes en plan rapproché offrant au spectateur un accès à chaque épisode, comme s’il en était le témoin direct. Il reprend en cela les cadrages serrés imaginés en 1934 pour son chemin de croix de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption à Sommentier, parti qu’il réutilisera en 1939 pour ses stations de l’église de Saint-Blaise, et en 1943 pour celles de Monfaucon.
Composées principalement avec des couleurs chaudes (rouge, jaune, orange, vert) bien que contrecarrées par quelques teintes froides (vert, bleu, violet), ces verrières présentent une ambiance sereine et équilibrée. Chacune est délimitée par un encadrement aux motifs géométriques, dans des teintes identiques aux scènes narratives, sur le bord inférieur desquels figurent des armoiries qui sont peut-être celles des donateurs. L’ensemble des vitraux apporte au vestibule une ambiance chaleureuse, presque intime, qui contrecarre avec l’atmosphère plus claire et lumineuse de l’intérieur de l’église.
Le Vitromusée Romont conserve les cartons de l’ensemble des vitraux de la chapelle de Gorgier, à l’exception de la scène de l’Annonciation située dans la nef, et du dessin correspondant aux parties ornementales des vitraux du choeur et de la nef, faisant généralement l’objet d’un carton séparé. Ces travaux préparatoires dévoilent un travail très précis de l’artiste. Le dessin du réseau de plomb y est complet, les détails déjà parfaitement définis, comme les coloris, bien que plus pastels. Seules les armoiries sur la bordure inférieure manquent sur les cartons des vitraux du vestibule et de la tribune. Elles seront ajoutées directement sur les vitraux, suite probablement aux donations.