Selon Hans Lehmann, le vitrail pourrait provenir de la collection du baron Johann Heinrich von Sulzer-Wart (1768-1840), jadis conservée au château de Wart, près de Winterthour – cette hypothèse n’a toutefois pas pu être vérifiée. Provenant de la collection Max Guggenheim conservée à Memmingen et vendue en 1913 à Munich par la Galerie Helbing, le vitrail est par la suite documentée dans une collection privée londonienne avant d’être achetée en 1928 par le Victoria and Albert Museum grâce au Fonds Murray (Cat. vente Munich 1913, p. 22, lot 275). Lors de son entrée dans les collections, ce vitrail était considéré comme suisse et daté du début du XVIIe siècle (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013).
Le vitrail représente un couple de sauvages présentant deux écus, l’un aux armes de Winterthour (ZH) et l’autre, qui constitue un complément plus tardif, aux armes de la famille Hegner, également de Winterthour. La figure de l’homme ou du couple sauvage connaît un engouement artistique dès le XIIIe siècle, qui va s’installer durablement dans les pays germaniques, notamment grâce aux oeuvres de Martin Schongauer et Albrecht Dürer. Dans l’ancienne Confédération helvétique, où cette iconographie fut régulièrement transposée en vitrail, notamment par Hans Holbein le Jeune (Londres, British Museum, inv. 1895,0915.992), la figure de l’homme sauvage incarne la force, la liberté et l’indomptabilité (cf. Cat. exp. New York 1980-1981, cat. 56). À titre d’exemples, l’hôtel de ville de Meersburg (Bade-Wurtemberg) conservent deux vitraux qui, à l’instar du panneau de Londres, représentent également un couple de sauvages tenant un écu armorié, mais qui sont manifestement plus anciens, le premier étant daté vers 1530 et le second en 1582 (Boesch 1954f, p. 77-78 ; sur ces deux vitraux, cf. Bremen 1961, p. 153-157).
Les armes du donateur ont été remplacées à une date indéterminée par celles de la famille Hegner qui reste toutefois un potentiel commanditaire du vitrail. Famille originaire de la région de Hegi-Elgg reçue bourgeoise de Winterthour en 1430, elle joua un rôle dominant dans cette ville jusque vers 1800. On retrouve des noms de famille semblables à Winterthour (1259), Zurich (1333), Stadelhofen (auj. comm. Zurich), Kloten (1311), Elgg (1374) et plus tard à Wil (ZH). Jusqu'en 1500, l'orthographe oscilla entre „Heg[i]n[ow]er“ et „Hegowler“. En 1492, Gebhart (✝︎1516) reçut d'Albert von Bonstetten des armoiries impériales représentant une doloire avec une étoile noire à cinq, puis six pointes sur fond d'azur. Entre 1508 et 1798, les Hegner fournirent à Winterthour onze avoyers sur cinquante et un, occupant ainsi la charge pendant 150 ans. Trente membres de la famille siégèrent au Petit Conseil et septante au Grand Conseil. L'administration de nombreuses seigneuries et d'importants domaines augmenta leurs revenus. En tant que secrétaires de la ville, onze membres de la famille se trouvèrent au centre des échanges commerciaux ; quatorze autres furent secrétaires des bailliages intérieurs et extérieurs du comté de Kibourg, office qui dans les faits était devenu héréditaire. La famille entretenait et consolidait par sa politique matrimoniale des liens étroits avec la classe dirigeante zurichoise. Après 1814, elle perdit rapidement sa position dominante à Winterthour. En 1893, la famille devint également bourgeoise de Zurich. Elle n'est plus représentée à Winterthour depuis 1915 (cf. Bütikofer 2009, consulté le 17 mars 2021). Sur la base de ces armes et du style, Hans Lehmann proposa de reconnaître en Hans Ulrich Hegner (1594-1665) le commanditaire et de dater le vitrail vers 1635, année en laquelle ce dernier devint avoyer de Winterthour (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013). Cette hypothèse demeure toutefois incertaine.
L’emplacement d’origine du vitrail n’est pas établi.
Publié en 1928 dans le rapport annuel du Victoria and Albert Museum, parmi les nouvelles acquisitions, le vitail était alors attribué à un peintre-verrier du nom de Christoph Kuster, vraisemblalement par Bernard Rackham, alors conservateur au département de céramique du Victoria and Albert Museum (Cat. coll. Londres 1929, p. 28-30). En 1911, lors de la vente de la collection de Lord Sudeley, conservée dans le château de Toddington dans le Gloucestershire, Hans Lehmann avait en effet expertisé un vitrail très semblable qui, bien que remanié et présentant quelques variantes, présente une même composition et comporte l’annotation „Die Stadt Winterthur / 1620“ ainsi que le monogramme CK, qu’il avait proposé d’identifier comme celui de Christoph Kuster (Lehmann 1911, p. 49, lot 62).
En 1955, Paul Boesch publia un essai sur les peintres-verriers de Winterthour dans lequel il démontra par les archives qu’il n’existe aucun peintre-verrier du nom de Christoph Kluster à Winterthour et que, par conséquent, le monogramme CK doit être identifié avec le peintre-verrier Christoph Kaufmann, documenté de 1588 à 1636 (Boesch 1955a, p. 55-57). En établissant une comparaison stylistique et formelle avec les vitraux signés du monogramme „CK“, désormais attribués à Christoph Kaufmann, Boesch confirma l’attribution du vitrail de Londres à ce dernier. Selon Boesch, le vitrail daterait des années 1620, tandis que les armoiries auraient été subsituées vers 1635, lorsque Hans Ulrich Hegner fut nommé avoyer de 1635 à sa mort, tandis que Kaufmann mourut peu après, le 3 avril 1636 (ibid., p. 59 ; id. 1954f, p. 83).
Bien que plus tardif, le panneau de Londres peut en effet être comparé au vitrail municipal signé et daté de 1610 de Gütighausen (ZH), où l’on retrouve une composition semblable ainsi qu’une manière très proche de réaliser les puttis ou encore les visages des figures masculines.
Cité dans :
Cat. coll. Londres 1929, p. 28-30, pl. 16
Cat. vente Munich 1913, p. 22, lot 275
Boesch 1954f, p. 83
Boesch 1955a, p. 59, fig. 15