Selon Paul Boesch, le vitrail proviendrait de la collection du prince Frédéric-Léopold de Prusse, laquelle fut vendue en 1919 à Berlin (cette information n’a pas pu être vérifiée – cf. V&A, documentation, état du 20 décembre 2013). Il est par la suite documenté dans la collection du financier américain Jack Pierpont Morgan Jr., dit J. P. Morgan Jr. (1867-1943), qui légua en 1919, en souvenir de la mémoire de son père, John Pierpont Morgan (1837-1913), et en reconnaissance de l’amitié anglo-américaine durant la Première Guerre mondiale, plusieurs dizaines de vitraux au Victoria and Albert Museum (sur ce legs, cf. VAM C.37-1919). Lors de son entrée dans les collections du musée, ce vitrail était considéré comme suisse et daté de 1624, comme indiqué dans le cartouche inférieur (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013).
Le rondel représente sainte Agathe, flanquée de part et d’autre de saint Barthélemy et de saint Etienne. Le cartouche supérieur constitue une prière de la corporation des meuniers et des boulangers appelant le Christ, la Vierge Marie et sainte Agathe à protéger la corporation contre le feu et l’eau. L’invocation de sainte Agathe vient d’une tradition ancienne, erronée, qui croyait reconnaître en les seins de cette dernière, traditionnellement déposés sur un plateau, des miches de pains. Sainte Agathe devint la sainte patronne des boulangers, tandis que le 5 février, jour de son martyre, de petits pains sont cuits et, selon les régions, dont en Suisse centrale, suspendus dans les maisons pour les protéger de la foudre et des incendies. Les deux autres saints, saint Barthélemy et saint Etienne, pourraient en revanche être les saints patrons des donateurs, manifestement des membres de ladite corporation.
Le donateur du vitrail est en effet la corporation des meuniers et des boulangers, probablement celle d’Altdorf (UR) comme nous aurons l’occasion de le constater. Commune du canton d'Uri, au sud du lac des Quatre-Cantons, sur la rive droite de la Reuss, le village d'Altdorf, mentionné dès le haut Moyen Âge, se situe sur d’importantes voies de communication, notamment sur le chemin du Gothard. Dès le XIIIe siècle, de nombreux commerçants et artisans y sont attestés. Des confréries et sociétés pieuses virent le jour dès le XVe siècle ; de caractère plus ou moins corporatif et groupant parfois plusieurs villages, elles ont partiellement subsisté jusqu'à nos jours. Un règlement de 1553 mentionne 32 métiers. Les corporations selon le modèle urbain étaient cependant inconnues. Aussi, la lutte contre les crues de la Reuss et du Schächen était du ressort de corporations que la commune subventionnait et dont elle désignait les responsables. La nuit, une «garde du foehn» prévenait les incendies. Son règlement fut révisé en 1631. En effet, Altdorf fut à plusieurs reprises victime de graves incendies et d’importantes innondations (cf. Stadler 2021, consulté le 23 mars 2021 ; voir aussi Henggeler 1955).
L’emplacement d’origine du vitrail n’a pas pu être établi. La donation de ce vitrail, daté de 1624, pourrait en revanche avoir un lien avec la réorganisation des métiers jurés documentée à Altdorf au début du XVIIe siècle, plus exactement avec la création en 1611-1612 de la corporation des meuniers et des boulangers d’Altdorf, précisément sous l’égide de sainte Agathe (cf. Gasser 2001, p. 21-22 ; voir aussi Henggeler 1955, p. 197).
Une localisation du vitrail dans le milieu uranais est également confortée par le style. La documention du Victoria and Albert Museum conserve une note dactylographiée (Williame Drake ?), non signée ni datée, qui considérait le vitrail comme uranais et l’attribuait au peintre-verrier Johannes Kachler (1597-1629), probablement suite à la proposition de Williame Drake de reconnaître dans le mongramme „ISK“ la signature de ce peintre-verrier (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013 ; Drake 1912, p. 201). À une date indéterminée, peut-être en 1935, lors de sa visite à Londres, Hans Lehmann infirma cependant cette proposition et proposa de reconnaître dans le monogramme „ISK“ la signature de Josua Klein, un peintre-verrier documenté à Altdorf (UR) vers 1621, puis Rapperswil (SG) vers 1637, puis à nouveau à Altdorf vers 1659 (ibid.). Cette proposition d’identification et d’attribution fut acceptée en 1946 par Franz Wyss, qui reconstitua le corpus de ce peintre-verrier, en y incluant le rondel de Londres (Wyss 1946, p. 87).
Ce dernier peut en effet être comparé avec un autre panneau, également conservé au Victoria and Albert Museum et aussi signé du monogramme „ISK“ : daté de 1628, il s’agit d’un vitrail historié aux armes de Hans Ulrich Dumeisen qui représente la clémence de Trajan (V&A, inv. C.558-1921 ; cf. VAM_109), dans lequel le visage de l’élégant cavalier représenté au second plan, derrière la veuve implorante, ressemble en tout point à celui de saint Etienne représenté dans le vitrail de la corporation des meuniers et des boulangers d’Altdorf.
Cité dans :
Wyss 1946, p. 87
Boesch 1954f, p. 75