Au début du siècle, les catholiques genevois multiplient leurs lieux de culte, après de difficiles années marquées par le Kulturkampf. L'église Notre-Dame de Genève, première église catholique construite dans la Cité de Calvin depuis la Réforme, vient d'être rachetée en 1912 par les catholiques romains qui retrouvent une certaine liberté d'action (Sauterel, 2008, p. 52-55).
En 1911, le vicaire général de Genève confie à l'abbé Francis Jacquet la mission de faire construire une nouvelle église dans le quartier neuf de Grange-Canal. La famille Jacquet avance une grande partie des sommes nécessaires à l'achat du terrain ainsi qu'à l'érection du bâtiment, prêt transformé en donation suite au décès de l'abbé (Poiatti, 2017, p. 60). Une fois le terrain acheté, le premier coup de pioche est donné le 1er octobre 1913 et la bénédiction de la première pierre a lieu en avril de l'année suivante. Ralenti par la guerre, le chantier peut néanmoins se poursuivre jusqu'à l'inauguration solennelle en novembre 1915 (Comte, 1920, p. 58-61). Les travaux sont réalisés par différentes entreprises sous la direction d'Adolphe Guyonnet, jeune architecte fort d'une double formation aux Beaux-Arts de Paris et à l'Ecole polytechnique de Zurich (Bouvier, 1938, p. 77). Ce dernier opte pour l'emploi du style roman, qu'il considère comme le plus adapté par la simplicité de ses lignes et à la cohérence du plan (Poiatti, 2008, p. 118). Il permet en outre de disposer les masses en largeur, répondant à la nécessité de ne pas dépasser une certaine hauteur fixée par une servitude. Le campanile originellement prévu ne pourra pas être réalisé pour cette raison (Comte, 1920, p. 63). Reliée par son plan à la tradition des grandes églises paléochrétiennes, notamment celles de Ravenne, et par son décor à un répertoire byzantin et roman avec son portail sculpté évoquant Chartres, l’église Saint-Paul incarne la potentialité d’une nouvelle ère en se différenciant du style néo-gothique de la mère des églises catholiques dans la cité de Calvin (Poiatti, 2001, p. 7-10).
Pour la décoration intérieure, l'abbé Jacquet, grand amateur d'art, s'assure le concours de différents artistes afin de réaliser une "oeuvre de beauté" qui marquera une étape dans l'histoire de l'art religieux au XXème siècle (Comte, 1920, p. 60). Il prend contact, par l'intermédiaire de l'écrivain Georges Goyau, avec le Français Maurice Denis, déjà une figure d’autorité en tant qu’artiste et théoricien de l’art et dont la réputation n'est plus à faire (Hodel, 1994, p. 1-4). Il lui confie la réalisation d'un morceau de choix, la grande peinture de l'abside, réalisée sur une toile marouflée peinte dans son atelier de Saint-Germain-en-Laye. Inaugurée en novembre 1916, elle représente des scènes de la vie de Paul, sa conversion, son prêche dans une barque et son martyre (Comte, 1920, p. 72-80). De nombreux autres artistes de Genève se retrouvent sur le chantier, pour la plupart assez jeunes, à l'instar du sculpteur Casimir Reymond ou de Marcel Poncet, artiste qui sort à peine des études lorsqu'il est appelé sur le chantier. Rapidement repéré par Maurice Denis pour ses compétences dans le domaine du vitrail, ce dernier possède l'avantage d'être à la fois artiste, peintre-verrier et maître-verrier, puisqu'il a effectué une double formation à l'école des Beaux-Arts, parallèlement à un apprentissage au sein d'un atelier de verrier à Carouge (Reymond, 1992, p. 36-37). Il se voit ainsi confier la réalisation dans son atelier, en plus de ses propres vitraux du bas-côté sud, de plusieurs verrières en collaboration avec d'autres artistes présents sur le chantier : Maurice Denis, Alexandre Cingria et Charles-Emile Brunner, artistes qui sont également impliqués parallèlement dans la réalisation des vitraux de Notre-Dame de Genève (Noverraz, 2014, p. 21-27). Dès 1918, Maurice Denis complète le cycle des vitraux des bas-côtés par celui des fenêtres hautes, représentant des saints et saintes emblématiques du catholicisme genevois, savoyard et lyonnais, entre autres, en collaboration avec Charles Wasem ("Les nouvelles oeuvres de Maurice Denis à l'église Saint-Paul", 1923, p. 1-6). En 1924, Poncet orne la tribune de trois nouveaux vitraux. On peut également mentionner les peintures murales de Georges de Traz décorant les bas-côtés, la mosaïque de Denis représentant le baptême du Christ, exécutée par Charles Wasem, les bas-reliefs et sculptures de Casimir Reymond et François Bocquet, ainsi que les reliefs du plafond, conçus sur des cartons de Poncet (Poiatti, 2001, p. 11-12 ; 33-34).
Suite au décès de l'abbé Jacquet en 1919, son oeuvre est poursuivie par son frère, Antoine, de retour de la guerre. La décoration sera achevée en 1926, selon les instructions de Francis Jacquet, avec la pose des vitraux du narthex par Alexandre Cingria (Casanova, 2013).
Outre son importance artistique intrinsèque, le modèle d'organisation collective en vigueur sur le chantier de Saint-Paul préfigure des futures activités du Groupe de Saint-Luc en Suisse, dont la première bouture, le Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, est fondée à Genève en 1919 par Alexandre Cingria et Marcel Poncet. La plupart des acteurs impliqués à Saint-Paul seront membres de cette Société artistique catholique se donnant pour but de renouveler l'art religieux, à l'instar de Guyonnet et Georges de Traz (Noverraz, 2022, p. 29-32).
Depuis 1960, la paroisse est confiée aux pères dominicains. En 1974, le choeur reçoit un nouvel agencement. Une chapelle dite “de semaine” est créée en 1978 sous l’impulsion du curé André Valet. Le sculpteur Henri Presset y réalise un Christ en croix, le tabernacle et la table. Ces éléments artistiques sont complétés par des vitraux prévus dès l’origine, mais réalisés seulement en 2006 par Pierre Chevalley. Entre 1984 et 1987, des travaux de restauration sont entrepris sous la direction de l'architecte Antonio Casanova et du restaurateur Théo-Antoine Hermanès, et en 2003 les peintures murales de Georges de Traz sont restaurées par l'atelier de restauration-conservation d'Eric Favre-Bulle (Casanova, 2013 ; Poiatti, 2001, p. 36-40).
Bouvier, J.-B. (1938). Adolphe Guyonnet. Neuchâtel : La Baconnière.
Casanova, A. (2013). Organisation de la paroisse et construction de l'église de St. Paul. Rappel de quelques dates importantes. Archives de la paroisse Saint-Paul de Cologny, Suisse.
Comte, C. (1920). L’Abbé Francis Jacquet (1882-1919). Genève : Rotogravure.
Hodel, P.-B. (1994, septembre). Maurice Denis – Francis et Antoine Jacquet. Correspondance (1914-1943) [document inédit]. Archives de la paroisse Saint-Paul de Cologny, Suisse.
"Les nouvelles oeuvres de Maurice Denis à l'église Saint-Paul". (1923, 7 octobre). Courrier de Genève (supplément), 1-6.
Noverraz, C. (2014). Marcel Poncet (1894-1953) : au coeur de l'oeuvre d'un artiste-verrier [mémoire de master inédit]. Université de Lausanne.
Noverraz, C. (2022). Le Groupe de Saint-Luc (1919-1945) : expression et quête d'identité d'une Société artistique catholique dans l'Europe de l'entre-deux-guerres [thèse de doctorat inédite]. Université de Lausanne.
Poiatti, M. (2001). L’église de Saint-Paul Grange-Canal, Genève (Guides de monuments suisses, 70, 696). Berne : Société d’histoire de l’art en Suisse.
Poiatti, M. (2008). Vitrail et modernité. Dans L. Borel (dir.) Émotion(s) en lumière, le vitrail à Genève (p. 98-141). Genève, Suisse : La Baconnière Arts.
Poiatti, M. (2017). L’église Saint-Paul, Grange-Canal, une donation de la fratrie Jacquet. Patrimoine et architecture. Philanthropie et patrimoine bâti, (23), 60-61.
Reymond, V. (1992). Marcel Poncet. Paris, France : La Bibliothèque des Arts.
Sauterel, V. (2008). Les vitraux genevois entre 1830 et 1900. Dans L. Borel (dir.) Émotion(s) en lumière, le vitrail à Genève (p. 52-94). Genève, Suisse : La Baconnière Arts.