Ce vitrail, situé dans la nef de la chapelle catholique d’Aubonne, a été réalisé en 1941 par l’artiste originaire du Tessin Emilio-Maria Beretta, en collaboration avec l’atelier Chiara de Lausanne. Il appartient à un cycle de six vitraux dédiés aux litanies de la Vierge, réalisé afin de décorer l’édifice construit entre 1939 et 1941 par les architectes François de Reynold et Albert Cingria ("Aubonne", 1990, p. 1).
A l’origine, la seule décoration prévue était une peinture murale. C’est à la suite d’un don pour les vitraux que leur réalisation est envisagée (De Reynold, 1940). L’artiste genevois Marcel Poncet, à la fois maître-verrier et peintre-verrier et installé à Vich, non loin d'Aubonne (Reymond, 1994), est d’abord pressenti pour ce mandat. François de Reynold indique dans une lettre à l’artiste que l’étude de la décoration murale et des vitraux se fera parallèlement, en plaçant au premier plan la première (De Reynold, 1940). En effet, l’accent va être mis sur le vaste chemin de croix en peinture murale, confié à l’artiste Emilio-Maria Beretta, gendre du principal animateur du Groupe de Saint-Luc, Alexandre Cingria, qui est aussi le père de l’architecte de la chapelle, Albert. Quelques années avant, en 1939, Beretta avait peint une monumentale peinture murale à l’église du Christ-Roi du Petit-Lancy, dont les parties narratives sont agencées en une frise continue (Chamay, 2001, p. 35-44), parti qu’il réutilise dans le chemin de croix d’Aubonne. Sans doute afin de favoriser l’harmonie stylistique entre les différents éléments de la décoration, c’est Beretta qui est aussi chargé de la réalisation des six vitraux de la nef. La recherche de cohérence entre les différents arts décoratifs et l’architecture apparaît une nouvelle fois au coeur de la démarche des artistes appartenant, comme Beretta et les architectes Cingria et de Reynold, à la mouvance du Groupe de Saint-Luc (Andrey, 1995, p. 33-45).
Les vitraux de Beretta déclinent les symboles des litanies de la Vierge, honorant Marie, patronne de la chapelle. L’artiste les a placés au centre de la fenêtre en tiers-point, en les entourant d’éléments ornementaux végétaux, floraux et animaliers, disposés symétriquement de part et d’autre du vitrail, accompagnés d’une banderole nommant le passage des litanies représenté. Ces vitraux ont été conçus par Beretta avant tout comme un accompagnement de son chemin de croix en peinture murale, situé en dessous des fenêtres de la nef. Ils ont pour rôle de retenir la lumière afin de le mettre en valeur sans le concurrencer. Les coloris, notamment les rouges, le jaune-or et le brun, bien que plus vifs, rappellent les tons du chemin de croix, tandis que l’artiste a peint les éléments figuratifs à l’aide d’une peinture à la grisaille apposée avec une touche à la fois vive et précise, qui caractérise également sa peinture. Pour ce vitrail de la Turris Eburnea (la Tour d’ivoire), il opte pour des épis de blé, probable clin d’oeil au retable du choeur, dont les personnages représentés en-dessous de la Vierge incarnent les activités paysannes de la terre et de la vigne en lien avec les symboles eucharistiques du pain et du vin.
Il joue sur l’opposition des contrastes entre le bleu, qui fait office de fond devant lequel se détache chaque symbole, et les tons rouges et bruns qui composent le reste de la fenêtre. Cette mise en dialogue des tons chauds et froid se retrouve dans le vitrage de la fenêtre ornementale à losange située sur la tribune (GSL_560), présentant un dégradé de coloris allant des teintes chaudes, à l’extérieur, aux teintes froides, au centre.
Au moment où il réalise les vitraux d’Aubonne, Beretta, alors âgé de 34 ans, a déjà une belle expérience de décorateur d’église, principalement dans des édifices liés au Groupe de Saint-Luc, dans la section romande duquel il est introduit par Cingria entre 1931 et 1932 (Mitgliederverzeichnis, 1932). Artiste polyvalent, il réalise des peintures murales, des peintures sous verre, des vitraux et même un chemin de croix en marqueterie dans de nombreux édifices religieux de Suisse romande, entre 1931 et la première moitié des années 1940. Parmi ses travaux les plus importants, on peut citer l’église de Rueyres-les-Prés dans le canton de Fribourg, dont il est le décorateur principal, tout comme celle de Mézières (FR), où il réalise une monumentale peinture sous verre faisant office de retable dans le choeur, ainsi qu’un chemin de croix dans cette même technique (Torche-Julmy, 1998, p. 11). L’artiste a moins d’expérience dans le domaine du vitrail, qu’il aborde pour la première fois en 1927 lorsqu’il aide Alexandre Cingria dans la réalisation de ses vues d’Israël, Rome, Jérusalem et du Sinaï pour l’église Sainte-Croix de Carouge (par exemple GE_28.03 et 28.04), qui seront déplacées en 1977 à la chapelle de Sainte-Marie-du-Peuple à Châtelaine (Sauterel, 2008, p. 317-318). Il travaille encore en collaboration avec Cingria à l’église Saint-Pierre-aux-Liens de Bulle entre 1931 et 1932. Les vitraux d’Aubonne sont donc les premiers qu’il réalise seul. La dimension modeste des vitraux d’Aubonne permettait certainement à l’artiste de s’adonner à l’exercice sans trop de difficultés. Il reviendra au vitrail en 1944-1945 à la chapelle Notre-Dame-des-Marches, où il complète le cycle de vitraux laissé inachevé par son beau-père Alexandre Cingria, décédé durant la commande. Il y réalise alors également deux vitraux consacrés aux Litanies de la Vierge (GSL_351 et GSL_354), dont les symboles sont déployés sur deux verrières aux dimensions plus importantes (Rime, 2005, p. 117).