Ce vitrail de l’église du Christ-Roi de Tavannes, église construite par l’architecte genevois Adolphe Guyonnet, est consacré à Dieu et est l’oeuvre de l’artiste central du Groupe de Saint-Luc, Alexandre Cingria, en collaboration avec l’atelier vaudois Chiara. Dans le répertoire de ses oeuvres d’art religieux établi par l’artiste lui-même, Cingria mentionne sa réalisation à Tavannes et la date de 1930 (Cingria. [1944], p. 8), année corroborée par la datation se trouvant sur le vitrail consacré au Saint-Esprit dans le baptistère.
L’artiste réalise pour ce sanctuaire les trois vitraux du baptistère, ainsi que les deux situés à côté des confessionnaux, l’un dédié à Marie-Madeleine (GSL_538) et l’autre au Curé d’Ars (GSL_537). Tous d’assez petites dimensions, ils s’agit des seuls vitraux artistiques de l’église, l’ensemble des fenêtres étant paré de simple verre à vitre. Chaque baie comporte un double vitrage extérieur et intérieur, l’un en verre industriel structuré blanc et l’autre en verre cathédrale avec une bordure bleue et un centre rose, travail également réalisé par l’atelier Chiara (Chiara, 1930a et b). Les ouvertures du baptistère et des confessionnaux sont dotées elles aussi d’un vitrage extérieur en verre industriel structuré blanc (Chiara, 1930a et b).
Dans les archives de la paroisse, presque aucune mention n’est faite des vitraux, si ce n’est lors d’une assemblée générale du cercle catholique des hommes en 1928, durant laquelle il est décidé de payer un vitrail pour la nouvelle église et de verser un montant de 500 francs à cet effet (Uebelhart et Chalverat, 1928). Dans un autre document récapitulant les comptes datant de 1932, Guyonnet indique que Cingria a été payé 1’450 francs pour les vitraux, sans autre précision (Guyonnet, 1932). La correspondance échangée avec l’atelier Chiara, qui est pourtant riche concernant la vitrerie, ne les évoque pas.
Bien que les trois vitraux du baptistère et ceux des confessionnaux soient de nature différente, leur réalisation est très semblable. Cingria a utilisé une grande diversité de verres, mélangeant des verres artistiques et industriels, et insérant, comme il aimait le faire, des cabochons pour apporter dynamisme et volume à certains détails. Il a également employé des verres plaqués gravés à l’acide afin de laisser apparaître sur certains détails de son dessin une autre couleur que celle du verre visible en surface, comme sur certains détails du visage de Marie-Madeleine (GSL_538) (cou, front), lui conférant volume et relief. Il a effectué un travail conséquent à la grisaille et au jaune d’argent, grattant certaines zones avec la pointe d’un pinceau ou les enlevant avec la paume de la main pour leur donner lumière et contraste. Il a même apposé de la peinture à la grisaille au revers du vitrail pour densifier et souligner certains éléments du dessin (lèvres de Marie-Madeleine ou vêtements de la samaritaine devant la fontaine).
Ce cycle verrier montre combien Cingria maîtrise techniquement le travail du verre. Il collabore avec l’atelier Chiara depuis la fin des années 1920 et en devient même le directeur artistique, comme le mentionne la brochure publicitaire de 1931 publiée par l’atelier (“Vitraux d’art [...]”, 1931). Très pointilleux, particulièrement dans le choix des verres, il les sélectionne toujours lui-même dans l’atelier Chiara qui en possédait un vaste assortiment, comme l’artiste en témoigne dans son récit autobiographique Souvenirs d’un peintre ambulant. Il y décrit des “verres antiques dégradés dans la masse du clair au foncé, des verres gaufrés de toute espèce, des verres opalins et des verres américains ou belges chamarrés et marbrés de veines de couleurs différentes”. Cingria ne craint pas de mélanger tous ces verres de nature variée, ce qui lui permet d’obtenir dans ses oeuvres une “préciosité de tons inconnue des anciens verriers” (Cingria, 1933, p. 122 et 123).