Ce vitrail a été réalisé en 1926 par Alexandre Cingria pour la nef de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption d’Echarlens.
L’architecte de la nouvelle église d’Echarlens, Fernand Dumas, qui avait refusé quelques mois auparavant d’octroyer la réalisation des vitraux de la nef de Semsales à Cingria, craignant son art indiscipliné (Radin, 2011, p. 31-33) change d’avis en 1925, puisqu’il lui offre non seulement la possibilité de réaliser l’ensemble des verrières de l’église d’Echarlens (à l’exception des petites verrières tripartites du baptistère) mais aussi la polychromie des caissons de la voûte en berceau, une grande partie de la décoration intérieure ainsi que plusieurs mosaïques et le décor du couvercle des fonts baptismaux (Lauper, 2012, p. 116).
Cingria travaille à Echarlens à partir de l’été 1925 et réalise l’ensemble des verrières l’année suivante. Les vitraux de la nef sont construits sur un modèle identique disposé en deux registres, la partie supérieure (les trois quarts de la fenêtre) se composant de motifs géométriques tendant vers l’abstraction, alors que la partie inférieure est consacrée à l’illustration d’une parabole.
Alors que pour ses verrières de Semsales, il avait collaboré avec le peintre verrier genevois Eugène Dunand, avec lequel il travaille également pour les baies de l’église catholique de Carouge (par exemple GE_04.01), il n’a pu choisir lui-même son verrier à Echarlens. On lui impose une entreprise du canton, l’atelier fribourgeois Kirsch & Fleckner, qui a déjà exécuté un vitrail de Cingria présenté lors de l’exposition nationale suisse de 1914 (Zentralkomitee der schweizerischen Landesausstellung in Bern 1914, 1914) et qui vient de réaliser les verrières de Jean-Edouard de Castella à Semsales, artiste que Cingria n’appréciait pas (Radin, 2011, p. 29-32). Comme l’artiste genevois en témoigne dans son ouvrage “Souvenirs d’un peintre ambulant”, il est très déçu par la réalisation de ses vitraux de la nef, qu’il découvre lors d’une visite du chantier en décembre 1926 : “On avait placé, sans me dire, pendant mon absence, les vitraux de la nef, dont j’avais dû, pour obéir à certaines raisons politiques, abandonner complètement l’exécution à un verrier dont je ne connaissais pas les méthodes de travail et qui ne permet pas aux artistes de peindre eux-mêmes les vitraux dans leur atelier. Le résultat était consternant. Il l’est encore, en ce qui concerne les sujets du bas de ces vitraux qui représentent les paraboles. L’observateur attentif verra bien qu’ils ne sont pas peints par moi” (Cingria, 1933, p. 21). Bien que Cingria soit scandalisé que les employés de l’atelier aient réalisé son dessin à sa place, dont il dénonce la facture “égale et fade” imitant timidement la sienne (Cingria, 1933, p. 21), il va tout de même signer les vitraux et, par ce geste, reconnaître leur paternité. Bien que nous en ignorions les raisons réelles, ce choix paraît surprenant car le dessin ne retranscrit pas la fougue et la vivacité propre au style de Cingria, que l’on peut apprécier sur les vitraux du choeur, peints par lui et dont il revendique l’attribution complète.
Cingria réalise les vitraux d’Echarlens alors que la tension monte à Genève avec le vicaire général Eugène Petite, suite à la pose en 1924 de ses vitraux illustrant la légende de la Sainte-Croix à l’église Sainte-Croix de Carouge (GE_04.01, GE_04.03). Les jugeant trop choquants et inappropriés, le vicaire empêche l’artiste de continuer son travail dans le sanctuaire et, en janvier 1927, lui interdit de réaliser des oeuvres comportant des figures dans les églises placées sous sa juridiction (Rudaz, 1998, p. 262). C’est pourquoi, dans le courant de l’année, Cingria réalise à Carouge quatre verrières illustrant les territoires de Rome, d’Israël, du Sinaï et de Jérusalem (GE_28.01, GE_28.02, GE_28.03 et GE_28.04), sans figure mais comportant la représentation de villes et de nombreux bâtiments traités dans un style cubiste. Cette interdiction, bien que réduite au canton de Genève, aura une influence à cette époque sur la manière de travailler de Cingria, qui va aborder ses sujets iconographiques d’une autre manière. La rose d’Echarlens, comme la partie supérieure des verrières de la nef, d’inspiration cubiste, s’inscrivent probablement dans ce contexte.
En 1932, une enquête est lancée auprès du clergé dans la revue suisse Ars sacra, afin de questionner la manière dont les fidèles s’accoutument aux nouvelles formes d’art sacré. En 1934, le curé de la paroisse d’Echarlens, Etienne Dumas, répond ceci : “les oeuvres de Cingria et de Baud ne sont pas aimées, parce que précisément, il n’y a pas de dessin, ce n’est pas fini; ça sent le bâclé, le pressé, le détail y est trop négligé. C’est le mal moderne : la vitesse, on ne prend pas le temps de faire consciencieusement son travail” (Enquête auprès du clergé, 1934, p. 59-60). Il apparaît donc que les paroissiens, six ans après la fin du chantier, n’ont toujours pas réussi à apprivoiser l’art de Cingria et lui reprochent, comme Dumas l’avait fait quelques années auparavant, son art indiscipliné manquant de lisibilité et de clarté. Lors de la consécration de l’église, Mgr Besson avait pourtant prononcé un discours éloquent témoignant du regard positif qu’il portait alors sur cette réalisation et sur les oeuvres que les artistes y avaient exécutées : “leur talent vient de s’épanouir une fois de plus en une oeuvre d’originale splendeur. Soutenus par la foi qui suscita les imagiers incomparables des grands siècles chrétiens, ils restèrent à l’écart de certaines extravagances modernes, tout en réalisant des solutions nouvelles qui montrent que le XXème siècle sait mieux faire que de copier servilement le passé” (Cingria, 1929, p. 43). Bien que l’église d’Echarlens ait obtenu l’approbation de l’évêque du diocèse, la population locale peine à comprendre cet art moderne face auquel elle n’a pas de repère.
A noter que Cingria s’est trompé dans les références bibliques pour ce vitrail, en mentionnant Luc 11, 30-37 au lieu de Luc 10, 25-37.