Ce carton partiel est un projet d’Alexandre Cingria pour l’église Notre-Dame des Alpes à Saint-Gervais-le-Fayet, construite par l’architecte haut-savoyard Maurice Novarina en France voisine entre 1935 et 1936.
En 1936, Cingria remporte le premier prix pour les vitraux de ce nouvel édifice. Il réalise plus de cent panneaux dont trente avec personnages, tous en dalle de verre, pour la nef, les autels de dévotion et la tribune. Chaque travée de la nef comporte six petites ouvertures carrées disposées en deux rangées. L’artiste y déploie des épisodes de la vie de la Vierge sur la partie inférieure alors que des éléments symboliques occupent la partie haute (Umstätter-Mamedova, 2004, p. 169).
La dalle de verre fait son apparition à la fin des années 1920 en France grâce à l’atelier parisien de Jean Gaudin qui, avec son fils Pierre, coule les premières dalles de verre en collaboration avec Jules Albertini. C’est en 1933 que le verrier Auguste Labouret dépose un brevet pour la technique qu’il appelle “vitrail en dalle de verre cloisonné en ciment” (Meer, 2002, p. 61-63).
En Suisse romande, cette technique va connaître une utilisation pionnière au sein du Groupe de Saint-Luc, particulièrement grâce à Cingria qui l’utilise pour la première fois en 1935 pour l’église Saint-Michel à Sorens. Lors de cette première expérience, il l’appréhende à la manière de la mosaïque, agençant de petits morceaux de verre entre de fins filets de béton. C’est lors de son travail pour le Fayet que l’artiste semble pleinement saisir l’étendue des possibilités formelles qu’offre cette technique. Non seulement il diversifie la largeur du béton, mais celui-ci devient un élément à part entière de sa composition, formant les yeux de ses personnages, soulignant des jeux d’ombre sur leurs visages, mettant en évidence mains, chevelures ou vêtements. Avec la dalle de verre, l’artiste genevois suit une évolution identique à celle du vitrail. Comme il l’évoque dans ses Souvenirs d’un peintre ambulant en 1933, à la fin des années 1920, il réalise qu’au lieu de disposer l’armature de ses vitraux à la fin, en cherchant à perturber le moins possible son dessin, il peut l’utiliser comme un moyen d’expression à part entière. Il parvient à la même prise de conscience avec la dalle de verre, dont il exploite l’une des spécificités techniques, en l’occurrence la présence du réseau de béton, pour servir sa composition et non comme un simple élément d’assemblage (Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 50-54).
Dès sa première expérience avec la dalle de verre, Cingria collabore avec l’atelier de Jean Gaudin à Paris. Nous ne connaissons pas les circonstances de leur rencontre. En 1925, le Genevois présente deux vitraux à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, où Jean Gaudin est également présent. C’est donc peut-être à cette occasion qu’il fait la connaissance du verrier. Il réalisera toutes ses dalles de verres en collaboration avec l’atelier parisien jusqu’en 1944 (Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 52).
La découverte de ce carton dévoile un autre aspect novateur dans la façon dont Cingria aborde la création d’une oeuvre verrière. L’artiste n’aimait pas devoir se plier à toutes les étapes préalables à la réalisation d’un vitrail. À partir des années 1930, il avoue même renoncer souvent aux cartons peints, qu’il considérait comme “inutiles et bêtes”, préférant “une petite maquette pour les couleurs, et une mise en place sommairement ébauchée puis épurée par un calque précis” (Cingria, 1933, p. 119-120). La technique de la dalle de verre étant encore nouvelle pour l’artiste, cette étape du carton est cependant indispensable, puisque c’est sur cette base que le verrier taille chaque morceau de dalle de verre. Cingria doit donc retenir sa fougue naturelle et, tel un technicien, fournir au verrier l’exact projet sur la base duquel il pourra travailler. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’artiste se désinvestit du processus d’exécution une fois son carton confié à l’atelier. Cingria s’intéressait de près à la phase d’élaboration de ses oeuvres verrières et y participait souvent activement, notamment avec l’atelier Chiara de Lausanne. Il semble faire de même avec la dalle de verre en se déplaçant à Paris dans l’atelier de Gaudin, comme il le suggère dans un entretien en 1941 où il revient sur son expérience du Fayet : “Oui j’ai eu la chance de me voir confier un grand ensemble pour l’achèvement d’une église tout à fait moderne. Je dois dire que l’élaboration et la mise au point de cet ensemble, que j’ai exécuté à Paris avant la guerre, m’a donné beaucoup de satisfaction” (Cingria, [1941], p. 27 ; Noverraz, Sauterel, Wolf, 2021, p. 54).