Cette carte de la Suisse romande a été peinte et annotée par l’artiste Alexandre Cingria, fondateur et principal animateur du Groupe de Saint-Luc. Elle est datée de décembre 1932, date importante dans l’histoire de cette société oeuvrant pour le renouveau de l’art sacré. C’est en effet durant cette année que le Groupe romand de Saint-Luc s’est constitué officiellement, se détachant de la partie alémanique de la Société Saint-Luc (SSL), qui se compose désormais de deux sections séparées placées sous son égide. Cette décision met fin à une période de huit ans durant laquelle romands et alémaniques ont oeuvré ensemble pour renouveler l’art religieux suisse, à la suite de leur association pour fonder la Société Saint-Luc en 1924 (Noverraz, 2022, p. 64-70).
Dès ses origines, le Groupe de Saint-Luc ne cache pas sa volonté conquérante qui s’exprime dans les écrits qu’elle produit, notamment la revue Ars sacra publiée par la Société Saint-Luc, dans laquelle Cingria rend compte chaque année de l’activité des membres romands (Noverraz, 2022, p. 55-56). Dans le premier numéro de 1927, Cingria appelle de ses voeux l’ouverture de certains cantons encore réfractaires au renouveau de l’art sacré, comme le Tessin, le Jura bernois, �N�e�u�c�h�ât�e�l� �e�t� �le V�a�l�a�i�s�. Il espère que “la propagande organisée par la Societas Sancti Lucae [puisse] pénétrer ces centres de résistance et les attirer vers notre idéal” (Cingria, 1927, pp. 30-33). Avec cette carte, Cingria semble prouver que ce pari est réussi, en affichant la présence du Groupe de Saint-Luc sur l’ensemble du territoire romand. Entre 1932 et la fin des activités officielles du Groupe romand de Saint-Luc dès 1945, de nombreuses autres oeuvres seront réalisées par ses membres, qui n’apparaissent pas sur ce document.
Une quarantaine de réalisations sont reportées sur cette carte. Comme l’indique la légende située en bas à gauche, Cingria distingue les constructions (marquées d’une étoile dorée), des restaurations (une étoile blanche) et des objets d’art (indiqués par un point blanc). Dans le canton de Genève sont signalées les églises Saint-Paul de Cologny, Sainte-Croix de Carouge et Notre-Dame de Genève, ainsi que les églises catholiques de Corsier, Troinex, Compesières, Perly, Avusy et une autre réalisation non-identifiée, peut-être Cartigny. Dans le canton de Vaud, on trouve les églises et chapelles catholiques de Rolle, Bière, Morges, La Sarraz, Echallens, Lutry, ainsi que, à Lausanne, probablement Notre-Dame de Lausanne (dite du Valentin), le Sacré-Coeur d’Ouchy, ainsi qu’une troisième réalisation non-identifiée. Dans le nord du canton figurent également des réalisations plus difficiles à identifier. Le canton de Fribourg mentionne douze points correspondants à l’église Saint-Pierre de Fribourg, la chapelle Saint-Nicolas de Flüe à St. Antoni (Burgbühl), l’église de La Roche, la chapelle Notre-Dame des Marches de Broc, l’église Saint-Pierre-aux-Liens de Bulle et celles d’Echarlens et Siviriez, le pensionnat Saint-Charles de Romont, la chapelle Sainte-Anne de Sommentier, Semsales, Promasens et une autre église non-identifiée. On notera l’absence sur cette carte du lac de la Gruyère, qui ne sera construit qu’entre 1944 et 1948. Neuchâtel ne compte que deux réalisations : la rénovation de l’église Saint-Etienne de Colombier et celle de l’église du Landeron. Pour le canton de Berne, figurent l’église de Tavannes dans le Jura bernois et la Marienkirche dans la capitale fédérale. Enfin, en Valais, sont signalées les églises de Finhaut, l’abbaye de Saint-Maurice et l’église de Lavais, ainsi que deux édifices comprenant des objets d’art situés au-dessus de Sierre, dont Saint-Maurice de Laques.
En bas à droite, l’artiste représente autour des attributs du logo du Groupe romand de Saint-Luc (une ancre et le sigle “SSL”), des symboles illustrant les compétences variées de ses membres : une palette pour la peinture, un buste pour la sculpture, le mur en construction pour l’architecture. Les rouleaux ou parchemins peuvent exprimer quant à eux à la fois la teneur intellectuelle du mouvement et son implication dans les arts graphiques.