Ce fragment de bordure néogothique datant vers 1880 est l’oeuvre de l’atelier Champigneulle, Paris, dirigé par Louis-Charles-Marie, fils du verrier Charles-François Champigneulle. Ce verrier fait partie, comme de nombreux ateliers de peinture sur verre, des protagonistes ayant oeuvré au développement du vitrail néogothique. Il a notamment réalisé à la fin du XIXe siècle un vitrail-tableau à Paris pour la chapelle Sainte-Marie-de-la-famille (Callias Bey, 2009, p. 61).
Cette verrière est issue d’un lot de onze oeuvres acheté par le Musée des arts décoratifs de Genève auprès de l’entreprise parisienne entre 1885 et 1887. Deux pièces maîtresses, un double panneau de style japonisant (GE_2326 et GE_2327) et un vitrail héraldique monumental (GE_2330) sont acquis pour 2000 francs et neuf autres vitraux sont offerts en surplus par l’atelier. L’ensemble est très hétéroclite, autant par les sujets représentés (religieux, profanes, ornementaux) que par les siècles auxquels ils font référence, allant du XIIe siècle à l’époque contemporaine de l’atelier. Ils présentent en quelque sorte un catalogue de la production de l’atelier qui proposait ses oeuvres dans toute l’Europe, dont la Suisse (Buyssens, 2019, p. 253-254).
Pour les motifs de cette bordure, Champigneulle reprend littéralement certains détails de la bordure du vitrail de l’”Incarnation et de l’enfance du Christ”, verrière chartraine du XIIe siècle, second volet du triptyque consacré à la vie du Christ, situé sur la façade occidentale de la cathédrale. Il reproduit à l’identique les bouquets de palmettes inscrits dans des médaillons, non seulement du point de vue du dessin, mais également des coloris. Il copie aussi deux motifs animaliers, un quadripède ailé et un monstre à tête humaine, tout en modifiant leurs teintes, préférant le rose plutôt que le jaune pour leur corps et le jaune à la place du vert pour leurs ailes.
Sur les deux côtés du vitrail, le verrier a appliqué un traitement de surface à l’aspect dépoli sur l’ensemble des verres neufs (sur les verres rouges et jaunes de la bordure, c’est plus partiel à l’avers), cette couche de peinture permettant de donner un aspect vieilli et moins transparent aux verres modernes (Trichereau & Loisel, 2017, p. 16). Cette technique, que le verrier Louis Ottin appelle dans son ouvrage “L'art de faire un vitrail” des « salissures » (Ottin, [1892?], p. 41-43), se pratique dès le XIIIe siècle.
La bordure est par définition ce qui cerne l’ensemble d’un vitrail, “son rôle étant d’assurer la transition entre l’ébrasement en maçonnerie et la partie centrale de la verrière, qu’elle soit figurative ou ornementale” (Perrot, 1997, p. 159). Ici seul l’ornement persiste et se présente clairement en tant que fragment sorti de son contexte. Il devient donc, avec l’aspect vieilli souhaité par le verrier, d’avantage un objet didactique qui ne devait certainement pas être dédié au marché de l’art.