L’église Saint-Pierre de Fribourg représente l’un des chantiers les plus importants pour le renouveau de l’art sacré dans le canton de Fribourg. Elle est construite entre 1928 et 1931 par l’architecte fribourgeois Fernand Dumas, membre phare du Groupe de Saint-Luc, gagnant d’un concours lancé en 1924 (Lauper, 2008a, p. 12, 19).
Le 27 mai 1931, dès la fin de sa construction, un concours est lancé pour sa décoration, véritable entreprise qui rassemble un grand nombre d’artistes et dont l’achèvement prendra plus de vingt ans (Lauper, 2008b, p. 27). Plusieurs membres du Groupe de Saint-Luc y prennent part, dont l’artiste toscan Gino Severini, et plusieurs artistes fribourgeois affiliés à la SPAS (Rudaz, 2008a, p. 32-33). C’est Severini qui est choisi pour la décoration générale de l’édifice. Mais dès le début, la collaboration avec la paroisse est difficile, et celle-ci cherche à limiter son mandat. Severini aurait voulu que ce soit Alexandre Cingria qui réalise les vitraux, mais les maquettes que ce dernier présente en 1934 pour la mosaïque du retable déplaisent, et l’on confie à Jean-Edouard de Castella le grand cycle des verrières de la nef.
Au début du mois de mai 1931, l’artiste fribourgeois Henri Broillet envoie un courrier à la paroisse afin de rappeler que son oncle, l’architecte Frédéric Broillet et son épouse avaient fait don à la paroisse d’un montant de 2’500 francs pour la confection d’un ou plusieurs vitraux, à la condition qu’il(s) soi(en)t réalisé(s) par leur neveu. Son activité professionnelle (il est conservateur du Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg depuis trois ans) ne lui permettant pas de concourir, il “souhaite avoir la certitude qu’il ne sera pas oublié et que si sa collaboration était jugée indésirable, il aurait le devoir d’attribuer ce fonds à d’autres oeuvres religieuses” (Broillet, 1931). Le Conseil de paroisse lui répond qu’il n’a pas oublié les conditions accompagnant le legs de l’architecte et qu’il “reviendra vers lui le moment voulu” (Conseil de paroisse, 1931). En 1934, Broillet se voit confier la réalisation de la verrière de la tribune.
Pour cette rose monumentale, l’artiste semble avoir proposé deux maquettes au commanditaire, oeuvres qui sont aujourd’hui conservées au Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg (no. d’inventaire : MAHF 1985-641 b et a). La première, figurant la croix centrale et deux propositions de fonds décoratifs pour les quatre angles (qu’il nomme : 1B et 2B), présente également deux variantes de bras de croix (appelées : 1A et 2A). La seconde illustre une troisième variante pour la croix (3A), qui sera celle choisie par les commanditaires, et quatre nouvelles propositions de fonds décoratifs (3B, 4B, 5B et 6B). C’est la variante 5B qui est préférée. Sur la base des choix du Conseil de Paroisse et du curé Zurkinden, Broillet réalise cinq cartons composant les différentes parties de la verrière (KF_392 ; KF_438 ; KF_439 ; KF_440 et KF_441). Comme cela se fait habituellement pour les verrières décoratives pour des raisons d’économie de moyens et de temps, il ne conçoit pas le dessin définitif de toute la rose, mais réalise chacun des éléments différenciés constituant le vitrail (le centre, une branche de la croix et un fond décoratif pour un des quatre angles), qui seront répétés par le verrier pour la composition de l’ensemble de la rose.
Cette rose monumentale est très représentative du style de Broillet. Les couleurs sont vives et offrent un fort contraste de teintes chaudes et froides. Imaginée pour être vue de loin, elle comporte des motifs simples qui se répètent et sont soulignés par une grisaille importante, assurant une meilleure lisibilité.
Broillet réalise cette rose la même année que le cycle verrier de la chapelle Notre-Dame-du-Chêne à Attalens, et une année après les deux vitraux de la cage d’escaliers de l’imprimerie Saint-Paul à Fribourg. Au milieu des années trente, les grands chantiers d’églises se raréfient, annonçant une période de crise pour les artistes (Arnaud et Pajor, 2008, p. 55). Pour Broillet, ces années coïncident avec sa nouvelle activité professionnelle. Devenu en 1928 le nouveau conservateur du Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg, il ne peut plus consacrer autant de temps à la création artistique.