Ce collage a probablement été réalisé par Alexandre Cingria, dans la perspective d’une publication destinée aux membres du Groupe romand de Saint-Luc, dont il est le président et principal animateur. Au moment où ce collage est créé (probablement en 1938, comme l’indique la date de l’article de L’Osservatore romano qui y figure), cela fait quatre ans que le Groupe romand de Saint-Luc s’est constitué officiellement, se détachant de la partie alémanique de la Société Saint-Luc (SSL), qui se compose désormais de deux sections séparées placées sous son égide. Cette décision met fin à une période de huit ans durant laquelle romands et alémaniques auront oeuvré ensemble pour renouveler l’art religieux suisse, à la suite de leur association pour fonder la Société Saint-Luc en 1924 (Noverraz, 2022, p. 64-70).
En 1936, le Groupe romand de Saint-Luc publie un Annuaire à l’intention de ses membres, publication destinée à remplacer pour les lecteurs romands la revue Ars sacra à laquelle ils collaboraient avec les alémaniques de la Société Saint-Luc depuis 1927 (Groupe romand de Saint-Luc, 1936). Il est suivi en 1937 d’un Almanach proposant différents articles et informations sur la vie du Groupe, au sein duquel un “concours de l’amateur éclairé” est proposé aux lecteurs (Groupe romand de Saint-Luc, 1937). Sur la base d’une page similaire à celle-ci, comprenant de nombreuses photographies d’oeuvres d’art réalisées par des membres du Groupe romand de Saint-Luc disposées pêle-mêle, le lecteur est invité à remplir un bulletin spécial en indiquant les noms des auteurs des oeuvres et leur localisation. Dans les instructions relatives à ce petit concours, il est précisé que les vainqueurs recevront en guise de récompense une oeuvre d’art d’un artiste de la SSL.
Ce photomontage était probablement destiné à un nouveau concours pour le numéro de 1938 de l’Almanach, numéro qui ne verra cependant jamais le jour, pour des raisons principalement financières. On y trouve, au centre, un poème d’Henri Ferrare sur l’Évangéliste saint Luc, considéré comme le patron des artistes puisqu’il aurait peint le portrait de la Vierge, et qui a donné son nom à de nombreuses confréries artistiques depuis le Moyen Âge. Le texte parle de l’engagement des artistes pour le renouveau de l’art religieux, à l’instar des membres du Groupe de Saint-Luc, dont la difficile mission ne pourrait être accomplie sans la protection du Christ (auquel il est fait référence dans le passage sur Emmaüs : “Ils iraient désormais pleurer dans les villages comme les pèlerins au chemin d’Emmaüs, si le même envoyé sur le même passage ne les accompagnait avant qu’ils ne s’en fussent”) ainsi que celle de Marie (”Celle qui par les beaux vitraux nous rend une visite, vient présider aux pauvres humaines réussite”). L’auteur les invite à se comporter à l’instar de l’Évangéliste, en n’attachant pas leurs yeux “sur les gloires humaines”, mais en déployant “la gloire de Celui qui nous aime” et en lui sacrifiant leur art, “sans mensonge et sans truc”.
La coupure de journal située au-dessus provient probablement du numéro de la revue L’Osservatore romano, organe de publication officiel du Vatican, dont l’en-tête est présenté en-dessus. L’article rend compte de l’exposition internationale d’art sacré organisée par le Groupe romand de Saint-Luc au musée Rath à Genève en 1938 (Groupe romand de Saint-Luc, 1938), et formule un avis très positif sur les travaux du Groupe de Saint-Luc (on notera que le paragraphe où l’auteur de l’article se montre le plus élogieux a été souligné par Cingria). Le fait d’avoir retenu cet article pour ce montage n’est pas anodin. Quelques années plus tôt, en 1933, le même Osservatore romano, dirigé par le comte Giuseppe Dalla Torre, s’attaquait vivement aux créations des membres romands de la Société Saint-Luc, les citant en exemple dans deux articles dénonçant les tendances malsaines s’exprimant en Europe dans l’art religieux moderne (Dalla Torre, 1933a et b). Ce discrédit portant un fort préjudice aux artistes du Groupe de Saint-Luc, ces derniers feront tout pour prouver leur légitimité auprès du clergé et du public (ceci notamment en se détachant d’une prétendue esthétique germanique), Cingria allant jusqu’à publier un ouvrage, Le Vatican et l’art religieux moderne, dans le but de démontrer “que nous [les artistes romands] n’étions pas visés par Rome” (Cingria, 1934, p. 63 ; Noverraz, 2022, p. 220-226). En affichant fièrement cet article ici, Cingria semble vouloir manifester le retour du Groupe de Saint-Luc dans les bonnes grâces du Vatican.
Concernant les photographies des travaux des membres du Groupe de Saint-Luc, on peut reconnaître des oeuvres de Marcel Poncet (mosaïque de l’église catholique de Gstaad), d’Alexandre Cingria (détails des vitraux de la chapelle de l’Hôtellerie franciscaine de Saint-Maurice, une mosaïque représentant sainte Thérèse de Lisieux), de Gino Severini (peintures murales de la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Nicolas de Semsales, supprimées en 1926), François Baud (statue de saint Joseph, bas-reliefs de la Marienkirche de Berne, reliefs de la rose de l’église Saint-Pierre de Fribourg), Jacqueline Esseiva (retable brodé de la chapelle de Couvet), Paul Monnier (peintures murales de la chapelle des Paccots), Marguerite Naville (robe brodée de la statue de la Vierge de Notre-Dame des Marches), Marcel Feuillat (crucifix, dont un réalisé pour l’exposition internationale de Paris de 1937 et placée à la route du Port à Estavayer), deux chapelles du Groupe romand de Saint-Luc présentés lors d'expositions et des vues d’églises, dont celles d’Orsonnens et Lutry.