Provenant de la collection du banquier, diplomate et collectionneur d’art suisse James-Alexandre de Pourtalès (1776-1855), dit à partir de 1813 de Pourtalès-Gorgier, le vitrail et son pendant (VAM inv. 82-1865, VAM_111) ont été acquis par le Victoria and Albert Museum lors de la vente de la collection d’antiques et de tableaux de ce dernier, organisée le 6 février 1865 et jours suivants par ses enfants dans son hôtel particulier, rue Tronchet, à Paris (Cat. vente Paris 1865, lot 1821). Lors de son entrée dans les collections du musée, ce vitrail était considéré de l’école suisse voire allemande et daté vers 1490, une attribution et une datation conservéee jusque dans le premier quart du XXe siècle (Cat. collection Londres 1868, p. 27 ; Day 1913, p. 105).
Les armes représentées dans ce panneau ont été identifées en 1923 par Hans Lehmann comme étant celles des von Krenkingen (V&A, documentation, état du 20 décembre 2021). Famille de barons connue du XIIe au XVe siècle, les Krenkingen possédaient le château du même nom dans le Klettgau. C'est vers 1200 que la famille connut son plus grand rayonnement, lorsque lui fut octroyée l'avouerie du couvent de Rheinau, probablement sous l'influence de Diethelm, évêque de Constance. La famille se scinda ensuite en deux branches. Jusqu'à son extinction en 1418, la lignée des Alt-Krenkingen eut comme sièges les châteaux de Gutenburg et de Tiengen, tandis que les Weissenburg-Krenkingen administrèrent leurs biens depuis Weissenburg (bien du couvent de Rheinau) près de Waldshut, jusqu'au moment où, vers 1300, la pression des Habsbourg les contraignit à se retirer à Roggenbach (commune Bonndorf, Forêt-Noire). En 1482, Elisabeth, abbesse du Fraumünster de Zurich, vendit l'héritage de sa famille, soit la seigneurie de Roggenbach, aux comtes de Lupfen (Leonhard 2005, consulté le 23 mars 2021).
Par association, Hans Lehmann formula l’hypothèse selon laquelle le donateur du vitrail pourrait être Elisabeth von Weissenburg-Krenkingen (ibid.). Documentée de 1428 à 1496, elle est probablement la fille du baron Johannes, de la branche cadette des barons de Krenkingen, et de Margareta d’Aarbourg, qui se fit nonne en 1434 puis devint, de 1487 à sa mort, abbesse du Fraumünster à Zurich (cf. Feller-Vest 2012, consulté le 8 avril 2021). Bien que séduisante, l’hypothèse n’a pas pu être confirmée. Aussi, rien dans le vitrail n’indique que le commanditaire du panneau de Londres était une abbesse.
Hans Lehmann fit toutefois observer que peu après la nomination de l’abbesse, en 1488, des travaux sont documentés pour, entre autres, la „grosse Stube im Hof“, c’est-à-dire l’appartement de l’abbesse, notamment la commande d’une série de vitraux (Lehmann 1926, p. 13). Sur cette base, Lehmann émit l’hypothèse selon laquelle l’emplacement d’origine du vitrail pourrait avoir été l’appartement de l’abbesse. Cette hypothèse, également séduisante, n’a pas pu être confirmée.
Lehmann proposa dans un premier temps d’attribuer le vitrail et son pendant (VAM_111) à un certain Lukas Schwarz, peintre-verrier de Berne (V&A, documentation, état du 20 décembre 2013 ; Lehmann 1913a, p. 205-226 ; id. 1913b, p. 321-346). Dans un second temps, il revint sur son attribution et proposa de donner les deux panneaux au peintre-verrier zurichois Lukas Zeiner, dont il reconstitua la vie et l’oeuvre dans son article pionnier paru en 1926 (V&A, documentation, état du 20 décembre 2021 ; Lehmann 1926, p. 33). L’identification ainsi que la proposition d’attribution furent acceptées en 1929 par Bernard Rackham (Rackham 1929, p. 53ss) puis en 1954 par Paul Boesch (Boesch 1954f, p. 77-78).
Le panneau de Londres est en effet caractéristique du florissant atelier de Zeiner. Aussi, comme l’a démontré Lehmann, le nom de Lukas ou Lux Zeiner apparaît à plusieurs reprises dans les comptes du Fraumünster à la fin des années 1480 puis à nouveau à partir de 1497 (Lehmann 1926, p. 13 et 20). En outre, le réseau de l’abbesse comptait un autre important client pour qui Zeiner réalisa dans les mêmes années années un vitrail (Bâle, collection privée; cf. Lehmann 1926, p. 31, renvoyant à Dändliker 1878, p. 24) : Hans Waldmann, le controversé bourgmestre de Zurich dont l’abbesse, après que ce dernier ait été déchu, jugé, puis décapité, assura les funérailles (cf. Feller-Vest 2012, consulté le 8 avril 2021).
Cité dans :
Cat. vente Paris 1865, lot 1821
Cat. collection Londres 1868, p. 27
Day 1913, p. 105
Lehmann 1926, p. 33, pl. 3
Rackham 1929, p. 55-60
Boesch 1954f, p. 77-78